Starshit : La religion du café
Ils s’appellent Jonathan Caron et Julie Renault. Leur toute nouvelle compagnie de théâtre, perchée entre Montréal et Rouyn-Noranda, fait son entrée en scène avec la pièce Starshit, qui décortique l’engrenage corporatif d’un café où l’on porte l’uniforme et l’on devient « associé » avec enthousiasme forcé.
On connaît la chanson. Chez Wal-Mart comme chez Starbucks ou dans un autre temple du bas prix et du produit vendu à la chaîne, les employés sont des « associés » à qui l’on tente de faire croire que leur apport est unique, sans toutefois les payer à leur juste valeur. Pendant ses études, le comédien Jonathan Caron est passé par là, se fascinant pour le phénomène au point d’y consacrer cette pièce satirique, Starshit, dans laquelle cet engrenage corporatif bien huilé va déraper et se pervertir, pour enfin sombrer dans la tragédie.
« Ce discours de l’employé-associé, dit-il, n’est rien de moins qu’un discours de propagande, une parole mensongère et sournoise pour faire en sorte que les employés pensent eux-mêmes qu’ils sont importants alors qu’ils sont le dernier des soucis de l’entreprise. »
Propagande, certes, mais aussi discours sectaire, qui reprend à son compte tous les motifs du discours religieux radical. Caron et Renault ont ainsi imaginé un patron au pouvoir démesuré nommé Alexander McCarthy. « C’est le fondateur de l’entreprise, explique Julie Renault. Un dieu, un messie, un gourou que les employés ont envie de toucher, qu’ils voient comme un grand prêtre. Il invite ses ouailles à tenter d’atteindre la perfection. Et comme dans toute bonne religion ou secte, il donne l’impression d’une entreprise attachée a de bonnes valeurs et qui propage le bonheur et le succès. »
Ainsi Renault et Caron s’inspirent davantage du chef religieux que duPDG de multinationale. Mais c’est du pareil au même, pensent-ils, tant le discours entrepreneurial s’appuie sur les mêmes mécanismes. « Pour le niveau de jeu, dit le comédien, on s’est notamment inspirés d’un documentaire sur les témoins de Jéhovah, Au nom de Jéhovah. On a analysé la gestuelle des leaders, leur sourire et leur conviction artificielle. »
« C’est satirique, gros et archétypal, poursuit Julie Renault, mais il faut rester crédible et réaliste. Les personnages sont très typés : il y a notamment une Franco-ontairenne avec un gros accent, un bipolaire avec des comportements limite, mais on est soucieux de ne pas jouer ça de manière trop brutale, de rechercher la vérité dans toutes situations. Il faut jouer dans la sincérité, sinon le spectateur n’a aucune place. »
Privilégiant une « mécanique précise des corps » et « une spatialité très établie », Renault et Caron se sont adjoint les services du comédien Luc Bourgeois à la mise en scène. Cet acteur connu pour un jeu physique d’une grande fermeté les a encouragés à un jeu corporel solide mais aussi à une certaine épure. Le résultat risque d’être aussi ludique que critique.