Scènes de la vie conjugale au CNA : Bergman le dialoguiste
De la grande visite à Ottawa. Le collectif flamand Tg STAN, dont le brillant théâtre se nourrit des tensions entre le personnage et l’acteur, présente son adaptation des Scènes de la vie conjugale de Bergman. Le cinéaste suédois était avant tout un grand auteur dramatique, dit le comédien Frank Vercruyssen, qui partage la scène avec Ruth Vega Fernandez.
Ingmar Bergman est adulé des cinéphiles. Mais si son œuvre était une matière encore plus puissante au théâtre? C’est ce que pensent les membres du célèbre collectif Tg STAN, qui ont trouvé dans ses dialogues un territoire immense de possibilités. Ils sont connus pour un théâtre pas trop linéaire, pourtant : des formes théâtrales pleines de décalages et de décrochages, dans lesquelles les textes sont graduellement interrompus par des interrogations des acteurs. Des irruptions du réel et de l’instant présent qui bousculent les trames dramaturgiques. « Mais nous sommes tout de même de grands amoureux des textes », dit Frank Vercruyssen. « Il ne nous viendrait pas à l’esprit, par exemple, de jouer Bergman sans un respect profond pour son écriture, ou de le réinventer avec nos propres mots comme peuvent le faire certains créateurs. »
C’est d’ailleurs en lisant d’abord le scénario de Scènes de la vie conjugale, sans avoir vu le film, que Tg Stan a eu le béguin pour cette grande œuvre. « On est soufflés par la qualité pure de l’écriture, dit le comédien. Ses dialogues sont d’une grande finesse. Bien sûr, il y a l’intelligence de son regard sur la vie de couple, sur l’amour mais aussi la tromperie et les déchirements. Mais on ne s’y intéresse pas de manière psychologique. La dimension thérapeutique ne nous stimule pas. C’est en tant qu’objet de théâtre, en tant que matière à des dialogues théâtralement fertiles, que Bergman nous intéresse. »
Sur scène, ils sont deux. Ramenés à leur substantifique moelle, les épisodes du film ne se jouent plus à 4 ou 6 personnages. Vercruyssen et Vega Fernandez deviennent Marianne et Johan, jouant d’abord fidèlement la partition du couple, avant de la laisser se craqueler et de briser l’illusion théâtrale pour s’exposer eux-mêmes tels qu’ils sont. Marianne est aussi Ruth; Johan est aussi Frank. C’est la manière Tg Stan. « Nous sommes prudents au début : c’est un grand texte qui commande notre respect. Mais on y interfère peu à peu dans le but de rendre le public complice de notre parcours dans le texte. C’est une démarche humble de décortication d’une écriture. Il ne s’agit pas de rendre le comédien plus important que les personnages mais de dialoguer avec les personnages parce que nous croyons que c’est ainsi que l’on peut mieux rendre leur tragédie. »
Ils osent aussi plus d’humour que le film de 1973. Parce que Bergman écrivait des dialogues pleins d’ironie, dont on peut comprendre toute la portée quand on lit le bouquin, mais qui ont été un peu gommés au cinéma. « Depuis toujours dans nos spectacles, précise Vercruyssen, nous utilisons la légèreté comme un outil pour transmettre la tragédie. Mais je peux vous assurer que Bergman avait intégré de puissantes touches d’ironie dans son scénario. Il avait une écriture parfaitement balancée entre le sérieux et le comique, et ses personnages savent se moquer d’eux-mêmes. C’est assez beau, je dois dire. »
Bergman est influencé par Tchekhov, Ibsen et Strindberg – des auteurs qu’il a beaucoup fréquentés comme metteur en scène de théâtre. « Ça nous permet, conclut l’acteur, un dialogue avec cette histoire théâtrale. Et je pense que notre spectacle contribue à faire mieux connaître enfin Bergman comme écrivain plutôt que strictement comme homme de cinéma. »