Frédérick Gravel : L'anti-héros de la danse
Scène

Frédérick Gravel : L’anti-héros de la danse

En visant la tête, le cœur et le sexe, Frédérick Gravel séduit toutes sortes de publics. Digne représentant de la nouvelle vague québécoise sur la scène internationale, ce chorégraphe et musicien prend doublement l’affiche du Festival TransAmériques. Portrait.

Rares sont les chorégraphes de danse contemporaine qui réussissent à faire frétiller les ados autant que les critiques les plus férus du genre. En titrant sa toute première œuvre Plutôt divertissant, en 2003, Frédérick Gravel en annonçait la couleur. Comme bien des créateurs après lui, il voulait briser l’image élitiste de cet art méconnu. Il faut dire qu’avec deux grands-pères musiciens et une mère prof de danse, il associait naturellement la danse et la musique à des événements festifs, rassembleurs. Il n’avait pas imaginé devenir chorégraphe jusqu’à ce que, à 20 ans, au détour d’un cours en sciences politiques, il découvre le Département de danse de l’UQAM et s’y inscrive par curiosité. Il n’avait pas non plus imaginé passer des jams de sous-sol à la scène jusqu’à ce que, par manque d’argent, il décide de composer et d’interpréter lui-même les trames sonores de ses spectacles. En mettant en scène son band et en entrecoupant les séquences dansées de discours à la fois drôles et (im)pertinents, il a relevé le défi de marier intelligence et divertissement. Car, loin d’être légers, ses spectacles s’interrogent sur la société contemporaine et la place réservée à l’art tout en traduisant les désirs et errances des gens de sa génération. C’est notamment le cas de la pièce de théâtre Logique du pire, présentée au FTA par Étienne Lepage, avec qui il collabore pour la seconde fois.

Frédérick Gravel / Crédit: Antoine Bordeleau
Frédérick Gravel / Crédit: Antoine Bordeleau

Génération aux ailes coupées

«Si on vient voir ce spectacle en se disant que c’est de la danse, on peut penser que le chorégraphe n’a pas beaucoup travaillé», lance-t-il, rieur, attablé dans un restaurant face au parc La Fontaine, à deux pas de son studio de répétition. «Le texte est beaucoup plus dense que dans Ainsi parlait…; il ne laissait pas de place à une écriture chorégraphique. Alors, on a travaillé la mise en scène de façon organique, comme en danse, en écoutant le texte et en décidant de la meilleure façon de le jouer et de développer la physicalité des acteurs.»

Dans cette œuvre au verbe corrosif, les deux créateurs mettent en scène cinq trentenaires dépités face au monde qui s’écroule. Des êtres à l’identité incertaine et à l’ego chancelant qui cherchent comment voler sans ailes, comment tenir debout face à l’échec, on en trouve aussi dans les créations de Gravel avec des titres comme Tout se pète la gueule, chérie ou Usually Beauty Fails.

Les comédiens Rachel Graton, Alex Bergeron et Yannick Chapdelaine font partie de la distribution de Logique du pire / Crédit: Stéphane Najman
Les comédiens Rachel Graton, Alex Bergeron et Yannick Chapdelaine font partie de la distribution de Logique du pire / Crédit: Stéphane Najman

«C’est assez représentatif de notre génération, reconnaît l’artiste de 38 ans. J’ai l’impression qu’on est nés dans une période avec un beau projet social, plutôt clair et optimiste, mais qu’un pessimisme s’est installé très vite et que nous avons vécu une suite de pertes de confiance en l’avenir. Le référendum aurait pu apporter un renouveau, mais on s’est plutôt enfoncés dans une absence de projet social. On dirait qu’on essaye juste de gérer qu’on manque d’argent pour réaliser quoi que ce soit. Ça paraît dans mes shows. Je cherche où on en est rendu, comment on peut encore se parler, ce qu’on peut encore faire malgré ce constat d’échec. J’y mets une touche de réalisme qui rend les choses un peu croches; je trouve ça plus beau.»

D’une génération à l’autre

On le comprend en l’écoutant, Fred Gravel est un gars de gang. En 2004, il cofonde avec sa belle-sœur, la chorégraphe Marie Béland, la plateforme de création chorégraphique La 2e Porte à Gauche (L2PAG) avec, entre autres, l’idée de repenser le rapport au public en présentant des œuvres dans des espaces publics, des appartements, des hôtels, des bars de danseuses… Produite par L2PAG et aussi à l’affiche du FTA, Pluton est composée de quatre courtes œuvres réunissant un chorégraphe trentenaire aguerri et un ou deux pionniers de la danse contemporaine québécoise. Gravel y est jumelé à Paul-André Fortier qui, comme lui, est membre de Circuit-Est centre chorégraphique, un autre collectif. Sa danse physique et sensuelle, tout en cassures et en déséquilibre, rencontre les lignes pures et le parfait contrôle de cet homologue de 30 ans son aîné.

Frédérick Gravel / Crédit: Antoine Bordeleau
Frédérick Gravel / Crédit: Antoine Bordeleau

«Avec Paul-André, nous avons dû trouver une façon de concilier nos deux cultures chorégraphiques. J’ai aimé sa confiance et son ouverture d’esprit. Il est très comique, très à l’aise avec l’idée d’aller dans l’absurde. Son solo était d’abord assez clownesque, mais il est devenu minimal avec un passage où on voit les esthétiques se battre. Je voulais quelque chose qui se passe dans l’effort, qu’on sente la tension, la difficulté du projet. Qu’un danseur mature ose montrer cette vulnérabilité est ce qui est le plus touchant pour moi.»

Un pour tous, tous pour un

Fondé en 2006, le Grouped’ArtGravelArtGroup, dit le GAG, fonctionne évidemment en mode collectif. «J’ai toujours besoin d’être en dialogue. Cela me pousse à être meilleur. Je ne pourrais pas travailler avec quelqu’un qui penserait que je détiens toute la vérité. Mon écriture ne sert qu’à révéler la personne, à tenir un ensemble, à créer un rythme, un parcours quelconque que le public a envie de suivre. La vérité est dans la personne, pas dans l’écriture. Mes collaborateurs du GAG sont d’ailleurs tous meilleurs que moi. Et si d’être programmé au FTA en 2009 a donné un certain élan à ma carrière, la chance de ma vie a surtout été d’avoir une formidable équipe dès le départ. J’aime cette idée qu’ensemble, on finit par élaborer ce à quoi on tient et que je ne sois pas le seul garant de l’esthétique. De la même façon, les autres ont élevé les standards de La 2e Porte au fil des ans.»

Linda Rabin, Marc Boivin, Louise Bédard et Paul-André Fortier dansent dans Pluton - acte 2 / Crédit: Claudia Chan Tak
Linda Rabin, Marc Boivin, Louise Bédard et Paul-André Fortier dansent dans Pluton – acte 2 / Crédit: Claudia Chan Tak

Au chapitre des projets communs, Frédérick Gravel est aussi membre du conseil d’administration des Prix de la danse de Montréal qui, depuis 2011, contribuent à mieux inscrire le Québec sur l’échiquier chorégraphique mondial. «Je pense qu’il faut absolument que la culture prenne plus de place dans notre quotidien à tous, qu’on prenne une posture plus intellectuelle pour éviter bien des problèmes. Les articles de fond disparaissent dans les médias, la télé est plate, on reste dans l’anecdote, plus rien ne se passe. Nous devons, comme société, nous botter le cul pour devenir plus intéressants. C’est pour ça que je m’implique dans les Prix de la danse. Pour que ça se passe.»

Avec 25 propositions au FTA, dont plusieurs sont gratuites, on a déjà des pistes intéressantes pour se déniaiser. Allez, go!

Pluton – acte 2, du 28 au 30 mai à l’Agora de la danse

Logique du pire, du 3 au 5 juin à la 5e salle de la Place des ArtsDans le cadre du FTA