Stéréotypes chorégraphiés au FTA
Scène

Stéréotypes chorégraphiés au FTA

Être femme ou être homme, pas si simple. Dans une époque qui mélange les genres et les sexes autant qu’elle les emprisonne dans les stéréotypes, les chorégraphes Manon Oligny et Pieter Ampe cherchent un espace de liberté au FTA.

Elle est québécoise. Il est flamand. Elle crée une danse frénétique qui s’interroge sur l’aliénation et la marchandisation du corps féminin. Il invente une danse libre et impudique qui expose l’intimité et la sexualité mâle. Mais Manon Oligny et Pieter Ampe réfléchissent tous deux à la question du genre, à leur appartenance à une féminité et une masculinité complexe, toujours enfermée dans des stéréotypes réducteurs même si l’époque encourage en apparence la liberté. Dans sa nouvelle pièce Fin de série, Oligny collabore avec l’essayiste Martine Delvaux pour explorer des identités féminines formatées à l’extrême, mais aussi entrevoir une émancipation possible. Dans So You Can Feel, Pieter Ampe débarque seul sur scène et fait de son corps nu le champ d’expérimentation d’une sexualité aussi libre et folle que vulnérable et parfois contrainte par les codes de la virilité.

Des femmes en série

Crédit : Yanick MacDonald
Crédit : Yanick MacDonald

Manon Oligny explore depuis longtemps, dans des pièces comme Icônes à vendre ou Blanche-Neige, l’enjeu de la standardisation du corps féminin, en réaction à une société qui fait de ce corps un espace de conformisme. «Ça passe depuis longtemps dans mon travail, explique-t-elle, par l’idée de la série, de la multiplication du corps féminin en clones ou en doubles quasi identiques les uns aux autres. Mais cette fois, tout en reproduisant le concept de la femme en série, dont l’identité profonde est disparue, dont le look conformiste est dicté par l’industrie, je m’intéresse à la série comme espace de solidarité entre les femmes, comme lieu d’une résistance en préparation.»

Inspirée par l’essai de Martine Delvaux, Les filles en série. Des Barbies aux Pussy Riot, et par des discussions avec l’auteure (qui agit comme dramaturge dans cette nouvelle création), la chorégraphe s’intéresse à une identité féminine en transformation dans l’espace public actuel, alors que se poursuit une quête du corps parfait de mannequin, mais que s’organise en parallèle une forte dénonciation.

Manon Oligny / Crédit: Émilie Tournevache
Manon Oligny / Crédit: Émilie Tournevache

«Ce sont des femmes prises dans les exigences de la perfection et de la performance, certes, mais elles sont aussi de plus en plus capables d’exprimer une rébellion, à travers la solidarité qui les unit. Je pense que ça correspond au renouveau actuel du féminisme, un féminisme qui réunit de nouvelles communautés.»

Fidèle à elle-même, Oligny offrira une danse explosive et agitée, mais cette fois également combative. «J’aime comparer ma danse à une chaîne de montage: ce sont des lignes qui s’enchevêtrent comme par glissements, comme du tricot dont les mailles se croisent sans cesse. On peut aussi voir ça comme de la course à relais: c’est une danse très athlétique. Les femmes en série tentent de survivre, de lutter contre leur propre finitude, de se libérer d’une aliénation, dans une danse qui agit sur plusieurs fronts simultanément.»

Le mâle dénudé

Crédit: Phile Deprez
Crédit: Phile Deprez

Les spectateurs montréalais connaissent Pieter Ampe pour l’avoir vu au FTA en 2011 dans Still Standing You, en duo avec son grand ami Guilherme Garrido. L’amitié au masculin, entre bromance et concurrence, y était décortiquée dans une danse brute et sexualisée, mais aussi dans une tonalité gamine et ludique. En se présentant cette fois seul en scène, Ampe évolue dans un territoire d’intimité radical: il se met à nu, au sens propre comme au sens figuré, dévoilant le corps et l’intériorité d’un mâle en pleine crise de sexualité.

«Je crois, dit-il, que les contextes dans lesquels nous vivons influencent beaucoup ce que nous développons de notre sexualité, ce que nous affichons, ce que nous acceptons ou non d’explorer. Personnellement, je ressens une énergie féminine forte avec laquelle j’ai envie de connecter, mais, bien sûr, les codes de la masculinité que je perçois en moi et autour de moi créent parfois un mur entre moi et cette identité féminine qui m’habite. J’essaie, dans ce spectacle, de représenter cette tension et de confronter la masculinité.»

Crédit: Phile Deprez
Crédit: Phile Deprez

Dans ce «strip-tease progressif», le performeur finira par tout dévoiler, par toucher au plus haut niveau d’intimité et de vulnérabilité, cherchant à «atteindre la sexualité la plus naturelle, la plus intrinsèquement humaine et quotidienne». Mais le parcours vers cette forme de pureté sexuelle ne peut pas se faire sans un détour par les stéréotypes mâles auxquels la sexualité est toujours associée, pense Pieter Ampe, qui s’amuse d’abord à jouer les machos ou les sportifs de plage. «Ce parcours correspond en quelque sorte à différentes étapes de ma vie. J’ai déjà été ce gars stéréotypé, qui affiche sa masculinité clichée en maillot de bain au beach-volleyball, et je suis aussi aujourd’hui un mâle barbu qui célèbre des attributs virils. Mais plus le spectacle avance et plus j’embrasse mon ambiguïté sexuelle, plus le portrait se nuance et se complexifie.»

Une expérience d’intimité profonde, pour un public complice.

Fin de série, du 4 au 6 juin à l’Agora de la danse

So You Can Feel, du 5 au 8 juin au Théâtre Prospero

Dans le cadre du Festival TransAmériques (FTA)