The Ventriloquist's convention : Le retour du refoulé
Scène

The Ventriloquist’s convention : Le retour du refoulé

On la connaît pour ses spectacles de ventriloquie trash (Jerk) ou pour des formes hautement ritualisées (Kindertotenlieder). Revoici Gisèle Vienne dans un autre registre, entraînant les marionnettistes allemands du Puppentheater dans la reconstitution ludique d’une convention de ventriloques qui dérape. Un spectacle stéroïdé qui glisse doucement vers la pulsion de mort.

Peu d’artistes contemporains savent autant que Gisèle Vienne redonner à la marionnette sa fonction de dialoguer avec la mort et avec la notion d’absence, par une savante orchestration de croisements entre l’animé et l’inanimé. Dans The Ventriloquist’s convention, elle s’y prend pourtant d’abord à contre-pied, de manière en apparence légère, réunissant des ventriloques dans la franche camaraderie d’une rencontre annuelle aux États-Unis. L’auteure s’inspire d’une réelle « convention des ventriloques » se déroulant chaque année au Kentucky, là où, si l’on se fie à la galerie de personnages évoqués, évoluent pêle-mêle les artistes de cabaret, les routiers de festivals, les marionnettistes traditionnels et les artistes de théâtre contemporain. Un joli bordel.

Crédit: Estelle Hanania
Crédit: Estelle Hanania

On pense d’abord avoir affaire à un spectacle sur le show-business à l’américaine, observé avec une distance circonspecte à travers le regard d’une Française. C’est en partie le propos de The Ventriloquist’s convention, dont la première partie est dominée par les interventions vitaminées et faussement souriantes d’un animateur énergique et de sa marionnette-clone. Nils règne au centre d’un monde de politesse et d’effusions, au sommet d’un talk-show badin qui unit les hommes et les pantins dans une harmonie de surface.

Les rires sont d’ailleurs si puissants qu’ils ne vont pas tarder à revêtir des atours inquiétants. Car nous sommes quand même chez Gisèle Vienne, une adepte de l’étrangeté et de l’onirisme; une observatrice des plus noires pulsions humaines. Cet humour naïvement grivois et cette ambiance bon enfant vont bientôt craqueler.

Laissant peu à peu la parole à chacun des marionnettistes ou à leurs marionnettes, qui agissent comme prolongements décomplexés de leurs propres personnalités, le spectacle dévoile peu à peu l’inconscient et le refoulé : le monde des peurs, des angoisses ou des souvenirs inavouables.  La solitude originelle, le sentiment d’isolement de ces hommes et femmes qui ont toujours eu besoin de s’accompagner d’un double, se révèlera sans fards.

Crédit: Estelle Hanania
Crédit: Estelle Hanania

C’est là que surgira la mort – toujours fondamentale dans le travail de Vienne – dans une scène prenante où elle se démultiplie dans les charpentes inanimées des marionnettes. Auparavant, la metteure en scène aura multiplié les moments de croisement entre le mouvement et la fixité, s’amusant parfois à figer aussi les corps de certains marionnettistes à l’arrière-plan, devenus momentanément  statues de cire pendant qu’à l’avant-scène, les marionnettes ont pris le plancher. Pulsions de vie et pulsions de mort sont toujours en éveil, dans des corps à fleur de peau et des poupées toujours prêtes à s’animer.

Une pièce aux multiples couches de sens et aux tonalités contrastées. On la retiendra probablement parmi les grands moments du FTA 2016.

Dernière représentation ce soir, 31 mai, à 20h à l’Usine C

Dans le cadre du Festival TransAmériques (FTA)