Gala : une entrevue avec Jérôme Bel
Scène

Gala : une entrevue avec Jérôme Bel

Après deux représentations à Québec, Jérôme Bel s’amène à Montréal avec Gala, une pièce pour non-acteurs qui célèbre le potentiel spectaculaire du quidam moyen. Avec une distribution complètement locale, de surcroît. Il a répondu à nos questions.

VOIR: La danse, c’est pour tout le monde, semble vouloir signifier Gala. Parlez-moi de votre désir de démocratiser la danse, d’en faire un mouvement collectif et libre ?

Jérôme Bel : « Je pense que la danse n’est pas réservée aux danseurs seulement. La danse m’intéresse pour ce qu’elle signifie; pas pour sa qualité. Ce qui m’intéresse, c’est ce qu’on peut exprimer avec la danse qu’on ne peut pas exprimer d’une autre manière. Il me semble que les individus peuvent être plus éloquents en dansant qu’en parlant par exemple. La danse permet de dire certaines choses qu’on ne peut pas dire d’une autre manière. Aussi, je convie dans Gala des individus qui expriment tous quelque chose de différent et hautement singulier. La danse définit le rapport au monde de ces individus. »

Jérôme Bel
Jérôme Bel

VOIR: Il y a l’idée de mélange des genres, des classes sociales, des styles musicaux- une déhiérarchisation de toutes choses? Est-ce une utopie que ce spectacle cherche à poursuivre et comment y-arrive-t-il ? Croyez-vous que notre époque la permette vraiment?

J.B. : « Le spectacle essaie de défaire certaines habitudes, certaines manières de voir qui me semblent extrêmement étroites et mortifères. Je pense que les idées néolibérales régissent de plus en plus notre manière d’être au monde. On ne se rend plus compte de ce que l’on a fini par naturaliser. Même dans le milieu soi-disant progressiste de la danse contemporaine ou du théatre expérimental, sphère à laquelle j’appartiens. Dans mon travail depuis quelques années, je remets en question certains présupposés inhérents à la danse. Je donne la scène à des gens qui n’y ont pas droit, je leur propose de dire ce qu’ils pensent du théatre , de danser même s’ils n’en ont pas la légitimité. Je crois à la possibilité de chaque être humain de faire ce qu’il veut, il suffit de lui en donner l’opportunité. Je crois à l’égalité des intelligences . Si quelqu’un ne comprend pas c ‘est qu’on lui a mal expliqué. Une utopie, non, une certitude. »

VOIR: Vos précédents spectacles avec des non-danseurs ou non-acteurs (comme Cour d’Honneur ou Disabled Theatre) s’inscrivaient dans une réflexion que vous poursuivez depuis plusieurs années sur les mécanismes du spectacle, sur la Société du spectacle. Comment Gala vous permet-il d’étoffer cette réflexion? Comment ce travail a-t-il fait évoluer votre pensée à ce sujet ?

J.B. : « Gala, je l’espère, déplace ces questionnements. Bien sûr, ils sont encore là, mais ils sont secondaires ( même si nécessaires). Mon projet est plus ouvertement politique aujourd ‘hui. Mon engagement politique grandit face à l’état du monde qui me semble de plus en plus problématique. Et cette certitude aujourd’hui qu’on ne peut plus continuer ainsi. Gala est peut-être une solution dansée à la violence sociale et politique dans laquelle nous vivons. »

Gala, de Jérome Bel / Crédit: Josefina Tomassi
Gala, de Jérome Bel / Crédit: Josefina Tomassi

VOIR: J’aimerais vous entendre au sujet de la question de l’identité – qui semble aussi faire partie de l’arrière-plan de ce travail. La diversité des danseurs montre-t-elle que nos identités individuelles sont fondamentalement différentes les unes des autres? Ou tendent-elles à nous unir, à montrer qu’au fond nous sommes tous pareils ?

J.B.: « Étonamment, ce qui est apparu dans Gala, est l’hypothèse suivante, qu’il faudrait vérifier plus scientifiquement. De l’expérience que j’ai fait, la communauté se produit d’autant plus facilement que chaque individu composant ce groupe est singulier. En d’autres termes, plus les individus sont uniques, plus la communauté qu’ils forment est forte, solide. Plus vous serez vous-mêmes, plus vous respecterez les autres individus. C ‘est extrêmement réjouissant cette nouvelle, n’est ce pas ? »

VOIR: Le spectacle entraîne le rire. Cet humour est-il volontaire, calculé? Parlez-moi de l’importance de la dérision dans ce travail.

J.B. : « Aucune dérision de ma part dans ce  travail. Je ne cherche à produire aucun rire, cela ne m’intéresse pas le moins du monde. Le rire est produit par la surprise de ce qui est donné à voir. C’est tellement inhabituel que les spectateurs rient, tellement surpris. On voit toujours les mêmes choses, les mêmes corps. Gala montre pleins de corps, plein de danses, souvent très vulnérables ou fragiles, et c’est sa puissance inouïe. »

Les 7 et 8 juin au Monument National

Dans le cadre du Festival TransAmériques (FTA)