Jamais assez : Lumière et frénésie
Scène

Jamais assez : Lumière et frénésie

Avec sa danse frénétique orchestrant une vive tension entre les figures de groupe et les replis sur soi, Jamais assez , de Fabrice Lambert , est un spectacle énergique mais pas de la plus grande originalité.

L’image initiale du spectacle nous restera longtemps en tête. Des corps torsadés les uns aux autres roulent vers l’avant-scène dans la semi-pénombre, lentement, comme une tache noire se propageant sur le sol immaculé. Un danger qui gronde. Ils se détacheront progressivement : commence alors une chorégraphie exaltant le collectif tout en opérant de constantes ruptures dans l’harmonie du groupe. Ce monde aspire à l’unisson, pense-t-on en observant la tension entre le collectif et l’individuel, mais il n’y arrive que douloureusement. La pièce s’inspire d’ailleurs d’un film révélant l’existence secrète d’un important site d’enfouissement; une menace concrète au territoire et à l’humanité. La danse de Fabrice Lambert apparaît donc sur fond de catastrophe. Mais la menace paraît bien faible, au cœur de cette danse lumineuse et énergique, dans laquelle l’humain triomphe.

Crédit: Laurent Philippe
Crédit: Laurent Philippe

On aura d’ailleurs souvent l’impression, dans cette gestuelle ample, ouverte, bras et mains happant l’espace en quête de l’au-delà, d’une danse qui raconte le corps en éveil après une longue hibernation. Dans sa luminosité et sa manière généreuse et alerte d’ouvrir le corps à l’espace et de tenter de l’élever, on reconnaît presque l’esprit du yogi : un effet de plénitude, d’appartenance pleine au monde, d’émancipation et de bien-être. Dans les meilleurs moments, tout cela est poétisé et traversé de moments de rupture qui empêchent la chose de sombrer dans le kitsch. Dans les pires moments, la gestuelle paraît un peu empruntée ou affectée – elle est certes virtuose mais pas de la plus grande originalité. Autre mouvement joli pour l’œil mais un peu suranné en danse contemporaine : des emprunts au ballet, notamment des pointes et des arabesques, que le chorégraphe s’amuse à syncoper et déconstruire.

Le motif de la course est aussi récurrent : les danseurs courent d’une position à l’autre, fuyant une menace ou cherchant à atteindre l’autre à la hâte comme à la recherche d’un doux réconfort. Voilà qui évoque aussi le sport, la physicalité du sport d’équipe.

Crédit: Christophe Raynaud de Lage
Crédit: Christophe Raynaud de Lage

La chorégraphie évoluera vers une danse plus individualisée et performative : l’unisson a laissé place à une sorte de compétition, de surenchère, d’essoufflement en solo devant le regard de l’autre. La plénitude est disparue et les corps semblent maintenant torturés, angoissés par leur incapacité d’être, par leur totale inadéquation. Il y a quelques clichés, encore, dans ce regard un peu moralisateur et unilatéral sur l’homme. Mais l’exécution n’en est pas moins prodigieuse, énergique et explosive.

Le travail de la lumière, véritable orfèvrerie,  s’allume sur les corps et alterne les ambiances. Les textures et les contrastes sont brillamment enchaînés, la lumière semblant réagir aux mouvements et aux pulsations du corps. Une chorégraphie de lumières.

À l’Usine C ce soir, samedi 4 juin, dans le cadre du Festival TransAmériques (FTA)