Danser sur les routes
Scène

Danser sur les routes

De la danse contemporaine au Festival du bûcheux de Saint-Pamphile ou sur la plage à Saint-Jean-Port-Joli? L’organisme La danse sur les routes du Québec, avec son programme Jouer dehors, a montré que c’était possible et même souhaitable. À l’aube de la saison 2016, discussion sur une danse décloisonnée et démontréalisée, dans l’espace public.

Depuis cinq ans, la danse in situ (c’est-à-dire présentée en dehors des scènes classiques et généralement en plein air) a le vent dans les voiles au Québec. De nombreux artistes – Aurélie PedronPriscilla GuyGabrielle Surprenant-Lacasse, Milan Gervais – en ont fait une spécialité et prennent la route chaque année pour présenter leurs spectacles en bordure du fleuve sur le quai de Kamouraska ou dans une cour d’école à Roberval. Une manière agréable et efficace d’aller à la rencontre des gens et de briser d’un coup le mythe voulant qu’il n’y aurait pas de public de danse en région.

 <em>Auto-Fiction</em>, de Milan Gervais, avec Milan Gervais et Andrew Turner / Crédit: Sandra Lynn Bélanger
Auto-Fiction, de Milan Gervais, avec Milan Gervais et Andrew Turner / Crédit: Sandra Lynn Bélanger

L’expérience du programme Jouer dehors prouve assurément le contraire. «Il y a une recrudescence importante d’œuvres in situ au Québec, explique sa coordonnatrice Marie Bernier. Parce que l’accès aux salles et aux lieux de diffusion traditionnels est plus difficile pour la nouvelle génération, mais aussi par désir de rencontrer mieux son public, de nombreux jeunes artistes ont développé cette spécificité dans leur travail. Il faut dire aussi que Culture Montréal et de nombreux incitatifs financiers instaurés par la Ville de Montréal ont pu jouer un rôle dans le développement de cette filière. Pour nous, l’occasion était trop belle: il fallait proposer de la danse ainsi décloisonnée à de nombreux festivals en région, qui n’ont pas la danse contemporaine dans leur ADN, mais qui se font un plaisir de recevoir nos artistes quand ils constatent la simplicité et l’accessibilité des formes in situ. Et le public est au rendez-vous.»

Les démarches varient beaucoup. Créer dans l’espace public, c’est d’abord voir le lieu public comme un espace de défi chorégraphique, intégrant les reliefs et les obstacles au mouvement. C’est aussi souvent s’intéresser au citoyen, créer des œuvres en rapport étroit avec la population locale. En entrevue avec Voir à l’été 2013, alors qu’elle préparait un spectacle de danse impromptue dans un café-bistro, la chorégraphe Priscilla Guy disait que «la danse in situ cultive la différence et permet de sortir des convenances pour trouver un rapport plus naturel avec le public et avec l’art». «Danser en public, c’est une prise de position. Le corps en mouvement est tabou dans l’espace public, dans une société individualiste comme la nôtre, donc je crois que c’est à ce formatage-là, de la société de consommation, que j’essaie d’échapper. Il s’agit de retrouver une liberté d’exister et de s’exprimer. Comme en démocratie.»

Priscilla Guy dans <em>Les installations mouvantes</em>, au Café d'chez-nous, Îles-de-la-Madeleine, avec le théâtre Au Vieux Treuil le 24 juin 2015 / Crédit Nigel Quinn
Priscilla Guy dans Les installations mouvantes, au Café d’chez-nous, Îles-de-la-Madeleine, avec le théâtre Au Vieux Treuil le 24 juin 2015 / Crédit Nigel Quinn

Les démarches de ce genre sont de la partie cet été un peu partout sur les routes. Danse de marché, du collectif Danse to GO (notre photo principale), est spécialement créée pour les marchés publics et propose «une série de surprises chorégraphiques autour de l’univers maraîcher et culinaire», avec la complicité des marchands. Entre, d’Aurélie Pedron, est une expérience intimiste pour un spectateur à la fois, dans lequel la relation entre ce spectateur et le performeur est hyper privilégiée. Et ainsi de suite.

Danser en région, sur les plages ou même sur des terrains de camping, c’est évidemment faire connaître la danse contemporaine à un public qui n’en a souvent jamais vu et qui, parfois, nourrit plein de préjugés à son égard. Un geste de démocratisation parfait. «L’exemple du Festival du Bûcheux, à Saint-Pamphile dans le comté de Bellechasse, est celui qui me touche le plus, s’émeut Marie Bernier. C’est un festival de compétitions forestières: lancer de la hache et démonstration de machineries forestières. Quand l’une de nos artistes originaire de Saint-Jean-Port-Joli, Chantal Caron, a approché ce festival, elle est parvenue à toucher un public qui n’avait pour la plupart jamais vu de danse contemporaine. Et il paraît qu’ils ont aimé ça.»

Hommes de vase, de Chantal Caron, à la marina de Saint-Jean-Port-Joli en août 2015 / Crédit: Marilène Bastien
Hommes de vase, de Chantal Caron, à la marina de Saint-Jean-Port-Joli en août 2015 / Crédit: Marilène Bastien

«C’est très difficile de développer un public pour la danse, selon Priscilla Guy. Les gens ont un préjugé défavorable. Je vois donc mon travail in situ comme une façon de présenter la danse autrement, sans tomber dans l’animation de rue, sans tomber dans le divertissement. C’est une démarche poétique avant tout, mais bien sûr, le fait de jouer dans les cafés ou dans la rue nous met toujours en contact avec des gens qui n’ont presque jamais vu de danse. Et on reçoit des témoignages vibrants chaque fois, de la part de ce public en pleine découverte d’une chose qu’ils ne soupçonnaient pas.»

Calendrier complet via ladansesurlesroutes.com