Le vin Herbé : Le déraisonnable opéra-pop de Philippe Boutin
Scène

Le vin Herbé : Le déraisonnable opéra-pop de Philippe Boutin

Même si le jeune metteur en scène Philippe Boutin n’a jamais vu d’opéra de sa vie, il n’a pas hésité à se lancer dans un projet démesuré d’opéra avec la compagnie BOP : une adaptation du Vin Herbé, de Frank Martin, qui raconte Tristan et Iseult en croisant mythologie et culture pop, avec 13 chanteurs, 13 comédiens, 1 marionnettiste, 32 danseurs et 9 instrumentistes!

Il se définit comme un « gars d’équipe ». Le moins qu’on puisse dire est que Philippe Boutin n’a pas peur de diriger de grosses troupes. Au moment de présenter son premier spectacle Détruire, nous allons, en 2013 sur un immense terrain de football de Ste-Thérèse avec 34 comédiens, il filait la métaphore sportive, rapprochant le travail de metteur en scène de celui du coach. Dans un café de Villeray à quelques jours de la présentation de son opéra, il nous parlera à nouveau de cet esprit sportif qui lui sert à être un leader en salle de répétition. « Je suis un gars d’équipe et un gars de sport; j’aime les grosses équipes sportives, la franche camaraderie, les accolades interminables dans un gros groupe d’amis. Le rassemblement, le collectif : c’est ce qui m’allume. » Ceux qui ont eu la chance de voir Détruire pourraient aussi ajouter que Boutin est un romantique et un hypersensible, mais aussi un mâle qui aime afficher autant que trafiquer les codes de la virilité et de l’athlétisme.

 Détruire, nous allons , 2013
Détruire, nous allons , 2013
Denis Gagnon / Crédit: Malina Corpadean pour Imago
Denis Gagnon / Crédit: Malina Corpadean pour Imago

C’est un gars d’équipe mais aussi un artiste qui sait s’entourer. Non seulement Dave St-Pierre signe les chorégraphies du Vin Herbé, mais Boutin a aussi sollicité le maître du combat scénique Huy Phong Doan et, tenez-vous-bien, le designer Denis Gagnon qui en est à sa toute première expérience de conception de costumes pour le théâtre. « Je n’en croyais pas mes yeux quand il a dit oui à un p’tit cul comme moi qui sort à peine de l’école. Je me suis entouré d’un dream team. Je suis modeste même si je fais des gros projets démesurés, mais je sais m’entourer de gens plus prestigieux et plus intelligents que moi, qui font grandir et rayonner mes projets. »

BOP

C’est BOP (Ballet-Opéra-Pantomime), une troupe fondée par des finissants récents du Conservartoire de musique, qui l’a approché pour ce projet alors qu’il est tout à fait inculte en matière de culture opératique. Pas grave, ces jeunes musiciens veulent décoincer l’opéra et s’y amuser comme il se doit. « Je n’ai jamais vu d’opéra, redit Boutin. J’aime l’idée d’être le metteur en scène bum qui n’a pas d’expertise opératique mais qui se permet d’en mettre un en scène. Sauf que je suis un rebelle romantique, je ne suis pas dans un désir de provocation, juste dans une quête de plaisir. S’il y a rébellion chez moi, c’est en toute naïveté. »

 Le Vin Herbé en répétition / Crédit: BOP
Le Vin Herbé en répétition / Crédit: BOP

Le Vin Herbé, un « oratorio profane », est destiné à un chœur de douze chanteurs, d’où se détache parfois un soliste (Tristan, Iseult, le Roi Marc). La pièce commence normalement alors que la mère d’Iseult concocte la fameuse potion. « Mais, explique Philippe Boutin, j’aime beaucoup tout ce qui vient avant dans le roman de Joseph Bédier : d’où vient Tristan, pourquoi il a tué le Morholt, comment il a conquis Iseult. On a créé un prologue théâtral qui met cela en place. Ça me permet aussi d’établir les codes de notre production dans laquelle les 4 personnages principaux sont dédoublés (Tristan, Iseult la Blonde, Iseult aux mains blanches et le roi Marc). Ce dédoublement me permet de travailler la dichotomie entre le corps et l’âme, d’explorer cette dualité en œuvre lors de la passion amoureuse, et l’impossibilité de l’amour qui en émerge. »

Les amoureux mythiques sont aussi, aux yeux de Philippe Boutin, des icônes comparables aux figures actuelles de la culture pop. Sur scène, Iseult prendra donc carrément les traits de Lady Gaga. « La mythologie ancienne, les personnages archétypaux et symbolique des grands mythes, pour moi, sont constamment évoqués dans les vies des figures célèbres d’aujourd’hui ou des personnages de fiction de la culture pop, du moins telles qu’on se les raconte ou que nous les racontent les médias. Jésus ou Kanye West, ou Harry Potter ou Neo, au fond c’est la même histoire : c’est le récit initiatique classique. Justin Bieber, au fond, c’est notre Apollon des temps modernes. À travers leurs vies exposées, on revit les grandes passions mythologiques, les grands récits fondateurs de notre civilisation et de notre humanité. »

 Le Vin Herbé en répétition / Crédit: BOP
Le Vin Herbé en répétition / Crédit: BOP

« Je veux faire avec cet opéra, poursuit l’artiste, quelque chose qui reproduit l’esprit des opus récents de la franchise de films Marvel, unissant des superhéros aux profils variés dans un même univers.  C’est très excitant de provoquer ce genre de rencontres. J’aime le métissage, les différents registres de jeu, la rencontre de l’opéra et du lypsinc, de la danse et des arts martiaux, de la mode et du théâtre. La pureté, c’est stérile. »

Des icônes pop mais aussi, dans une moindre mesure, des clowns, qui auront des comportements et des émotions exagérées. Boutin ose une réappropriation très personnelle et exacerbée de ces personnages mythiques.

Et la musique?

Il ne connaît rien à l’opéra et travaille en collaboration étroite avec le directeur musical Hubert Tanguay-Labrosse, mais il sait reconnaître la grandeur d’une œuvre. « C’est une œuvre musicale magnifique, une partition très difficile, dont nous tentons de respecter aussi la beauté et l’ampleur : nous voulons nous élever à sa hauteur même si parfois on pourrait avoir l’air d’en décrocher en souriant. C’est aussi théâtralement intéressant. Les chanteurs sont narrateurs, comme des choryphées ou comme les personnages du théâtre-récit. »

 Le Vin Herbé en répétition / Crédit: BOP
Le Vin Herbé en répétition / Crédit: BOP

Le mot de la fin? « Je veux prendre parole à travers cette œuvre : ce sont des tableaux que je me réapproprie complètement, on a fait du Vin Herbé quelque chose de très singulier et de très personnel. Mais je suis un romantique, un homme d’absolu qui a soif d’amour : il est clair que je mets en relief la fougue amoureuse de ces personnages. J’aime qu’ils vivent leur amour, et peu importe que cet amour soit magnifique ou destructeur, je pense qu’il doit être vécu de manière intense. Mais j’aime aussi calmer cette impétuosité en cultivant une dérision, un sourire en coin, en déconstruisant le sérieux de l’œuvre, en la contaminant par de l’ironie. Je suis cabotin dans la vie et je ne peux pas résister à insérer des éléments un peu tata. »

Du 16 au 19 juin à l’Arsenal, 2020, rue William, à Montréal.