Roméo et Juliette au TNM : «Retrouver sur scène la jeunesse des personnages»
Après avoir investi le Théâtre du Nouveau Monde l’été dernier avec ses Trois Mousquetaires, le metteur en scène Serge Denoncourt revient pour la troisième année consécutive au festival Juste Pour Rire, et s’attaque cette fois à un monument shakespearien… Entretien.
VOIR: Après Cyrano de Bergerac, Les Trois Mousquetaires… Pourquoi avoir choisi de mettre en scène Roméo et Juliette?
Serge Denoncourt: C’est une envie de longue date. Je veux monter Roméo et Juliette depuis que j’ai vingt ans! C’est la pièce la plus jouée dans le monde… Mais je ne voulais pas monter un petit Roméo et Juliette, il fallait un producteur qui avait les moyens. Là on m’a demandé quelle pièce j’aimerais faire, alors j’en ai profité! C’est aussi une belle façon de marquer le 400e anniversaire de la mort de Shakespeare.
Qu’est-ce qui vous a particulièrement attiré dans cette pièce?
Jamais dans la littérature des ados n’ont été aussi bien décrits. Cette pièce est un portrait des premiers émois de l’adolescence, dans tout ce que ça a de beau et de dangereux. C’est la jeunesse complète, l’inconscience… Roméo et Juliette sont des jeunes normaux, plutôt banals, sans prétention. Et comme tout le monde, ils sont sûrs que personne n’a jamais été amoureux avant eux.
Ils ont quelque chose de très moderne, et d’ordinaire aussi. Roméo et Juliette incarnent deux adolescents intemporels, et les jeunes d’aujourd’hui peuvent s’y retrouver et s’identifier facilement. Cette pièce a quelque chose d’excessif, de baroque et de fulgurant qui n’a pas pris une ride.
Monter une tragédie dans le cadre de Juste Pour Rire, un festival d’été, c’est un peu audacieux, non?
C’est un préjugé de penser que les gens ne veulent que du divertissement pur pendant l’été.
Je voulais monter un grand classique qui s’adresse à tout le monde, mais sans pour autant faire de concession – sinon je ne l’aurais pas fait. Pour le moment, c’est un pari qui a marché. Et Roméo et Juliette est une comédie!
Comment ça?
Le premier acte est écrit comme une comédie, le début montre un amour plutôt lumineux. Puis on a l’impression que Shakespeare a changé d’idée au milieu, et la comédie se transforme en tragédie en une seconde, à la mort de Mercutio. J’ai lu plus de 5 000 pages sur Roméo et Juliette, et tous les spécialistes mondiaux de Shakespeare s’entendent pour dire qu’il s’agit d’une comédie. Il y a aussi beaucoup d’humour et de grivoiserie dans cette pièce…
Pour Cyrano ou Les Trois Mousquetaires, on m’avait accusé d’avoir mis trop d’humour – notamment avec d’Artagnan. Pourtant, des personnages meurent aussi! Pour Roméo et Juliette, j’ai choisi la version française de Norman Chaurette, qui est selon moi le meilleur des traducteurs québécois. Il redonne des sonorités shakespeariennes tout en restant proche du texte.
Pourquoi avoir placé vos Roméo et Juliette dans l’Italie des années 30, pendant la montée du fascisme?
J’ai été inspiré par les films et les images de Visconti. On m’a souvent dit que j’étais très «viscontien», alors j’ai décidé d’assumer cela et de lui rendre hommage en essayant de transposer cette Italie-là sur scène.C’est la dolce vita, où on est en amour avec l’amour… Je voulais aussi faire un portrait de cette société italienne qui tend vers l’extrême-droite – ce qui est en ce moment vraiment d’actualité. Cette guerre entre deux familles devient ici une guerre idéologique.
Et pour les costumes, c’est de nouveau avec François Barbeau que vous avez travaillé…
Oui, il avait déjà fait Les Trois Mousquetaires. Il est malheureusement décédé en janvier dernier… On lui rend hommage dans la pièce: dans la scène du bal, tout le monde arrive habillé de costumes d’époques différentes, tirés des pièces sur lesquelles Barbeau a travaillé. Il y aura plus de 10 000$ de costumes sur scène! Il aurait adoré ça, de les voir portés par des comédiens plutôt que des mannequins.
Vous aviez de nombreux candidats pour les rôles titres. Comment avez-vous choisi?
Philippe [Thibault-Denis, déjà présent dans Les Trois Mousquetaires, ndlr], je le voyais comme un d’Artagnan, mais pas comme un Roméo. Il a insisté pour passer l’audition quand même. Marianne [Fortier] était ma Juliette de rêve… Et quand les deux ont joué ensemble, il s’est passé quelque chose, c’était évident. Car ce n’était pas deux acteurs qu’on cherchait, c’était un couple; si tu veux monter Roméo et Juliette et que t’as pas ton couple, t’as pas de pièce.
Ils seront en tout une vingtaine de comédiens sur scène. C’est beaucoup, mais quand j’ai moins de cinq acteurs sur scène je m’ennuie. Les grosses troupes, j’en ai fait une spécialité!
Et parmi eux, il n’y a pas vraiment de têtes d’affiche…
C’est surtout la relève qui est sur scène, et je trouve ça magnifique. La tête d’affiche, c’est Shakespeare! Ses personnages ont 14, 15 ans… Je voulais retrouver cette jeunesse sur scène, c’est ça mon pari. Souvent, Roméo et Juliette sont joués par des trentenaires; on gagne en expérience mais on perd en jeunesse. J’ai fait un choix: 12 des acteurs ont moins de 30 ans! Et on m’a déjà dit que c’était la version la plus jeune de Roméo et Juliette qu’on n’ait jamais vue…
Roméo et Juliette, de William Sheakespeare
mise en scène de Serge Denoncourt
Au Théâtre du Nouveau Monde du 21 juillet au 18 août