Le métier de scénographe
Scène

Le métier de scénographe

Part intégrante du succès d’une pièce, le décor est l’œuvre d’artisans de l’ombre qui magnifient les prouesses des acteurs, des dramaturges, des metteurs en scène. Un jeu de coulisses rarement mis sous les projecteurs.

«La scénographie, c’est un travail d’équipe et d’humilité. Il faut toujours respecter le texte, le mettre de l’avant. Il ne faut pas que l’espace que tu crées soit le centre de l’attention.» La modeste Marie-Renée Bourget-Harvey est diplômée du Conservatoire d’art dramatique de Québec (2005) et elle est, à l’aube de sa 10e saison comme professionnelle, plus en demande que jamais.

Son automne sera fait de deux pièces: une adaptation scénique du film Les bons débarras, un texte de Réjean Ducharme mis en scène par Frédéric Dubois au Trident, et Gloucester – Délire Shakespearien, création complètement déjantée de Marie-Josée Bastien présentée à La Bordée. Un projet d’une envergure sans précédent pour elle. «Ce qui est particulier [avec ce spectacle], c’est que c’est une comédie, une création inspirée de Shakespeare avec une trentaine de lieux et avec 82 personnages. […] On essaie de faire quelque chose d’épuré, mais on se rend bien compte que ça ne se peut pas. C’est une logistique incroyable! C’est gargantuesque!» Sans trop en dévoiler, elle nous assure que la facture visuelle sera un mélange de théâtre élisabéthain et d’éléments esthétiques contemporains.

Photo : Vincent Champoux
Photo : Vincent Champoux

D’une production à une autre, et en fonction de qui ils sont engagés, les scénographes comme Marie-Renée sont amenés à accomplir une variété de tâches qui vont des décors (évidemment) aux costumes en passant par les accessoires. Parfois, ils vont même jusqu’à construire le dispositif scénique. «Il faut être manuel, mais c’est très délicat parce qu’on signe des contrats de conception qui n’incluent pas la fabrication, la réalisation. Mais dans les faits, on fait beaucoup de choses de nos mains. […] Plus les théâtres sont institutionnels, plus on est protégés par rapport à ça. N’empêche, on fait toujours nos maquettes.» Les scénographes jonglent aussi avec d’autres contraintes, soit les angles de vision (pour que tout le monde dans la salle voie bien) et les normes de sûreté particulièrement chiantes mais nécessaires. Tous les matériaux doivent être ininflammables. «Pour Fendre les lacs de Steve Gagnon, on a ignifugé tous les arbres. On n’avait pas le droit aux conifères, donc on a enlevé toutes les aiguilles une par une.»

Véronique Bertrand, photo : Thomas Paquet
Véronique Bertrand, photo : Thomas Paquet

Pour Véronique Bertrand, les considérations de sécurité prennent une tout autre ampleur puisqu’elle collabore régulièrement avec FlipFabriQue, la réputée compagnie circassienne de Québec. Justement, c’est elle qui signe le décor de Crépuscule cet été encore. Un grand spectacle extérieur présenté à l’Agora du Vieux-Port, une scène de 10 000 pieds carrés, sa plus grosse en carrière. «J’adore ça parce que le lieu est différent, je ne suis pas dans une boîte noire, je ne suis pas dans un cube. L’énergie n’est pas pareille.» C’est aussi elle qui a accompagné Keith Kouna dans la création de son ambiance Voyage d’hiver, elle qui a conçu les plus récents chars allégoriques pour le défilé du Carnaval de Québec. Les commandes non conventionnelles, c’est presque sa spécialité!

Forte de ses 15 ans d’expérience, qu’elle a par ailleurs gagnés auprès du scénographe vedette Rudy Sabounghi qui l’avait engagé comme assistante alors qu’elle habitait en France, Véronique a développé sa propre vision du métier. Une méthode qui lui est propre, mais teintée par un souci du détail, une minutie transmise par son célèbre mentor. Son angle d’attaque? Faire ressortir les enjeux émotionnels du texte, les mettre en valeur. C’est ce qu’elle fera pour Les marches du pouvoir, une pièce de Beau Willimon (House of Cards) mettant en vedette Charles-Étienne Beaulne qui prendra l’affiche à La Bordée en novembre. «Dans ce cas-ci, il y a une ascension au pouvoir, puis une déchéance de l’humain. Pour moi, le mouvement est très important. […] Le personnage principal perd ses plumes, complètement, et jusqu’à la fin. Ça, pour moi, c’est très émotif, mais c’est ce que je veux essayer de traduire en scéno. Ma façon de travailler, je ne dis pas que c’est la bonne, mais c’est de sentir les non-dits du texte.»

«Je ne suis pas une designer d’intérieur»

Nourrie par l’art contemporain, et plus spécifiquement par les installations d’artistes comme BGL ou David Altmejd, Marie-Renée Bourget-Harvey a horreur du banal, du réalisme. Elle veut créer de la magie. «Je suis touchée par la poésie, quelle qu’elle soit, et j’essaie toujours d’en inclure dans mon travail. J’aime mélanger des idées qui ne sont pas censées aller ensemble, et l’art contemporain, souvent, c’est ça. C’est des contrastes, des chocs, que ce soit doux ou fort.»

De toutes les illusions orchestrées dans sa vie, la neige de Dévadé (un autre texte de Ducharme mis en scène par Dubois) reste l’une des plus marquantes pour le public de Québec. Un défi technique considérable qu’elle a relevé en 2013. «Il neigeait pendant une heure et demie, quand même. C’était ça le décor! On a fabriqué des machines sur mesure, on a profité de l’expertise d’un monsieur qui travaille en cinéma. […] On a eu cinq ou six sortes de neige, on a fait des tests en laboratoire. On pouvait décider de l’intensité, de la vitesse, et je la faisais accélérer pendant le spectacle. On faisait une mise en place… de neige!»

D’ailleurs, Véronique Bertrand nous le confirme: les contacts, c’est l’un des outils les plus utiles des scénographes. «Ça te prend un bottin bien garni. La job, c’est pas tant de connaître quelque chose, mais plutôt de connaître quelqu’un.»

Ce qu’il reste

Une question, importante d’un point de vue écologique, se pose cependant: qu’advient-il des décors lorsque les représentations sont terminées?

Marie-Renée avoue dépenser beaucoup d’énergie pour recycler, trouver les moyens de le faire. Dans son métier, le gaspillage n’est pas rare. «Le container à déchet arrive très rapidement à côté d’un théâtre. […] Quand je sais que [mes décors] ne seront pas récupérés, je fais des appels à tous pour donner du matériel. Le métal, on le vend à des gens qui le font fondre. Pour Macbeth, par exemple, il y a des gens qui ont acheté des meubles pour les mettre chez eux. Habituellement, je ne perds rien.»

Tenez-vous-le pour dit: on peut aussi magasiner en allant au théâtre. Ça change du IKEA.