Gloucester: « la fausse nouvelle pièce de Shakespeare »
Scène

Gloucester: « la fausse nouvelle pièce de Shakespeare »

La ligne est souvent mince entre drame et comédie. Cet automne, la 40e saison de La Bordée s’ouvre sous fond de délire shakespearien. 

Les étoiles étaient alignées: William, l’immortel, fête son 400e anniversaire de naissance et il y a maintenant trois demi décennies que les deux amis écrivent des lignes pour ce grand projet réunissant 10 comédiens et 75 personnages. Ça peut donner le vertige.

Alexandrine Warren (Vania) et Emmanuel Bédard (un habitué du Théâtre Petit Champlain en été) sont de ceux qui donneront corps aux répliques écrites par Simon Boudreault et son collègue Jean-Guy Legault. « Dans ce show-là, ça nous prenait 10 acteurs qui peuvent puncher, aussi capables de soutenir l’enjeu tragique. C’est vraiment ça qu’on a [au sein de la distribution]. Tout le monde est capable de jouer sur ces deux niveaux-là. »

Résolument anglais, l’humour de Gloucester se veut surtout très pince-sans-rire et près de l’univers, du ton de la télésérie Monty Python produite par la BBC de 1969 à 1974. Les situations sont drôles pour celui qui regarde, mais que les protagonistes les vivent comme des épreuves, des événements graves.

C’est Marie-Josée Bastien, grande ricaneuse et dame éminemment sympathique, qui est en charge de mettre la fresque survoltée en scène… « Il faut que les comédiens se croient quand ils jouent, ils vivent un drame, ils ont des quêtes personnelles terribles… Mais, par contre, le texte est très drôle et, des fois, justement, tu pousses un peu trop la note, tu fais un regard méchant et, tout d’un coup ça tombe rapidement dans quelque chose de plus drôle, mais sans perdre l’ardeur tragique qu’ils doivent avoir. »

« C’est vraiment une fête »

Les scènes sont courtes, punchées, intenses, mais attention: Gloucester n’est pas une succession de sketchs, pas une pièce construite à la manière d’un Bye Bye. C’est une histoire sous le thème de la quête du pouvoir, sur fond de déchirements familiaux et avec, comme en bonus, un clin d’oeil à l’actualité européenne.

Le synopsis va comme suit, dans les mots de Simon. « Gloucester et York sont à la tête de l’armée du roi et la pièce commence avec une victoire contre l’Écosse qui clamait son indépendance. Ils sont victorieux, la soeur de Gloucester, Goneril, est la reine et elle espère être nommée régente de l’Écosse. Le roi arrive, il va séparer le royaume entre trois, donc une partie à York, une autre à Gloucester et finalement à Goneril. Ça donne 99.99%, parce qu’ils tous 33.33%, donc il reste un 0.01% qu’il va donner à Gloucester, ce qui lui donne une légère majorité sur le territoire. Sa soeur, Goneril, va vivre ça comme un affront et de là, tout va dégénérer. »

Comme Shakespeare avant eux, le duo réfléchit aux travers humains: la jalousie, l’ambition et, surtout, le besoin d’haïr.

Être ou ne pas être

En reprenant les scènes typiques de Shakespeare (genre: l’apparition d’un spectre ou une sérénade du bas d’un balcon) et les noms comme les traits de caractère des personnages les plus marquants de son oeuvre, Jean-Guy Legault souhaite provoquer des rencontres improbables. « C’est ce qui crée la comédie à travers ça, parce que c’est des tempéraments forts. C’est sûr que ça fait des flammèches. »

Une contrainte d’écriture stimulante qui génère un crescendo de folies tout au long du spectacle. « Shakespare, ça se construit de manière épique et ça se finit toujours dans des espèces d’hécatombes qui ne se peuvent pas. C’est pareil pour la comédie… Plus ça va, plus on empoisonne le public avec des jokes. »

Marie-Josée Bastien (Crédit: Rolline Laporte, Courtoisie La Bordée)
Marie-Josée Bastien (Crédit: Rolline Laporte, Courtoisie La Bordée)

Marie-Josée Bastien: « C’est assez fin, assez intelligent. Oui, il y a la comédie, mais il y a aussi toute la quête de sens des personnages qui transparaît dans ce show-là et, même, l’humain dans ses travers et ses qualités. »

C’est Marie-Renée Bourget-Harvey, scénographie accomplie, qui relève le titanesque défi que comporte la matérialisation des 33 lieux imaginés par Boudreault et Legault. Pour se faire, elle s’inspire du théâtre élisabéthain avec des décors de bois somme toute assez minimalistes, malgré la lourdeur de la commande. Un choix qui allait de soi, une esthétique représentative de l’époque à laquelle évoluait le grand maître. « Historiquement, c’est l’un des premiers théâtres qui illustrent beaucoup avec peu. La forêt, ça va être trois bâtons, par exemple. […] Il n’y avait pas de gros décors, c’était très très simple. »

Un cadre parfait pour rendre hommage à Shakespeare, le genre de pièce qu’on rêverait de voir, ne serait-ce que par pur chauvinisme, s’exporter au jusqu’au Shakespeare’s Globe sur le bord de la Tamise, à Londres.

Du 20 septembre au 15 octobre à La Bordée
Les 27 et 28 octobre au Théâtre du Vieux Terrebonne
Du 25 novembre au 17 décembre à la Cinquième Salle de la Place des Arts