Icare au temps des nouveaux barbares
Qu’il est bon, à une époque où le fantasme et les espérances se marchandent au prix du gros, de rêver en grand. D’aborder le théâtre comme quelque chose de large, d’embrasser les arts vivants dans une démarche collective et pluridisciplinaire, jumelant la danse, le théâtre et la musique, dans un spectacle questionnant la naissance de la violence chez l’enfant, en contrepartie de ses contemporains. Voilà un peu les grandes espérances du collectif Castel Blast, qui lance la saison de l’Espace Libre avec Ma(g)ma, spectacle qui tente de sonder la violence humaine et ses racines, tout en désirant brosser un portrait d’une génération à travers une réécriture actuelle et corporelle de certains mythes fondateurs de nos sociétés. Le tout piloté par quatre finissants de différentes écoles et invitant plus d’une quarantaine des leurs à prendre place sur scène.
Dès l’entrée des spectateurs, un enfant joue seul sur scène. Derrière lui sera projeté la liste des remerciements qui s’étirera pendant de longues minutes, créant une immense peinture à numéros des inspirations chères au collectif. Passant de M83 à Bertolt Brecth, de Fauve à Jan Fabre, d’Éric Satie [sic] à Roméo Castellucci ou encore d’Émile Cioran [sic] à Claude Régy; on convie dès l’ouverture les grands à se rencontrer : metteur en scène et plasticien, compositeur et philosophe, tous sont les bienvenus pour cerner la genèse de la violence. Rapidement cet enfant, tant candide que pur, sera chassé par une horde, voire une meute, d’hommes tendus, bouillants, arrivant des quatre coins de la pièce. L’enfant fuira, laissant place au grand ballet des corps nerveux, s’entrechoquant tel un seul homme, dans un va-et-vient de haine crispée. Il y aura ensuite une Marie du nouveau millénaire, belle et vierge, se jetant au cœur des hommes affolés comme un baume à la dureté, elle deviendra le centre d’attention, le centre de tout, lors d’une chorégraphie rythmée d’un Ave Maria des plus judéo-chrétiens.
Il y aura aussi Joseph qui rencontre Marie dans un bar, une chasse ouverte pour créer un monde en ruine, une vierge comme un gibier, alors que les corps se multiplient sur scène pour n’être qu’un. Une scène orgiastique sur la rencontre et l’abandon, sur la sexualité et la tension, qui sera désamorcée par le retour l’enfant qui, au contact des rites et des habitudes du monde adulte, verra sa pureté souillée, verra la violence naître. Succession de tableaux christiques, création d’ambiances contemplatives, le tout porté par une musique visant à griser le spectateur tout au long du parcours, Ma(g)ma est à la fois théâtre sans parole et danse par le mouvement de masse, le spectacle laisse grande place à l’interprétation de ceux qui y assistent.
Bien que la comparaison soit vice de plusieurs raccourcis, on prête automatiquement le flanc à cette dernière si on nomme un collectif (Castel Blast) en référence à l’un des grands metteurs en scène et plasticiens de notre époque (Roméo Castellucci), en plus d’inviter à table plusieurs grands noms du théâtre et des arts dès l’ouverture de la pièce. Ainsi, le travail en ambisonie, désirant immerger le spectateur, ne laisse peut-être pas assez place au silence, question de marquer le contraste. Ma(g)ma fait à la fois référence à une roche en fusion, une matière destructrice, que les corps parviennent à mettre en scène par le mouvement. C’est aussi Mama, la candeur des premiers mots, séparé par un (G), le désir et la virginité de la première mère, Marie.
Le regard parfois binaire tant sur une génération de Millennials que sur notre héritage judéo-chrétien vient parfois brouiller nos pistes de compréhension, que ce soit dans une scène de rencontre des corps qui est aussi prude que déchaînée, ou encore dans une scène de sacrifice, où l’enfant semble le seul à encore pouvoir expier les péchés du monde adulte. L’ironie fuyante – ou non assumée ? – tout au long du spectacle peut lentement nous faire glisser la pente du stéréotype, bien qu’on à l’impression qu’ils ont temps bien que mal tenté de l’éviter. Les quelques erreurs dans les projections ainsi que le manque de justesse dans la création des tableaux soulignent simplement le côté un peu vert d’un jeune collectif fort prometteur. Conviant rapidement sur le plateau plusieurs pères spirituels et frères d’armes, on reste avec l’impression que ces derniers ont créé des ailes de cire et de plumes à Castel Blast qui, tel un Icare au temps des nouveaux barbares, se serait brûlé les ailes en volant trop près du soleil.
MA(G)MA
Castel Blast
Présenté à l’Espace Libre jusqu’au 10 septembre 2016