J'aime Hydro : Maître chez elle
Scène

J’aime Hydro : Maître chez elle

Christine Beaulieu présente J’aime Hydro, une pièce qui enquête sur les rapports qu’entretiennent les Québécois avec Hydro-Québec.

Il y a quatre ans, Christine Beaulieu se frottait pour la première fois à la dramaturgie d’Annabel Soutar avec la pièce Grain(s). Mise en scène par le Torontois Chris Abraham et traduite par Fanny Britt, la pièce permettait aussi à l’actrice de plonger dans le théâtre documentaire, qui a fait la marque de la compagnie de théâtre Porte-parole, fondée il y a maintenant plus de 15 ans par Soutar et son collègue Alex Ivanovici. Quelques années plus tard, cette même dramaturge allait approcher Beaulieu avec un projet d’une ampleur considérable qui allait mener l’actrice du OFFTA au FTA, en passant par la Romaine et Shawinigan, avant d’aboutir au théâtre La Licorne où la pièce prend actuellement l’affiche jusqu’au 10 septembre. Retour sur une épopée qui n’est toujours pas sur ses derniers milles.

Prenant les planches pendant plus de deux heures, J’aime Hydro emmène le spectateur dans les méandres d’une enquête citoyenne sur le rapport des Québécois envers Hydro-Québec, une enquête qui désire sonder l’effritement du lien fort unissant la société d’État et les Québécois. Au-delà des hausses de tarifs qui font souvent grincer les contribuables dans leurs chaumières, il s’agit aussi, et surtout, de réfléchir aux politiques énergétiques d’Hydro-Québec, qui ne cesse de (sur)produire de l’électricité avec le harnachement de nouvelles rivières comme la Romaine. Questionnant les acteurs principaux, tant du côté d’Hydro-Québec que du côté des fondations s’opposant à certains projets – dont la Fondation Rivières –, J’aime Hydro vise, selon l’actrice et l’idéatrice du projet, «[…] à débraquer les parties en place. Créer un réel dialogue. Les solutions pour notre avenir sont là et elle est là, la force du théâtre d’Annabel Soutar. Ne jamais être dans un camp ou dans l’autre, mais errer dans la nuance à la recherche de solutions.»

Photo : Porte Parole
Photo : Porte Parole

Lorsque Annabel Soutar a inclus Christine Beaulieu dans ce projet, jamais l’actrice n’aurait cru s’y plonger à ce point. Pour celle qui n’avait jamais mené ce genre d’enquête, il s’agissait en quelque sorte d’un saut dans le vide, mais elle se voyait mal refuser cette offre de la dramaturge. «Annabel, c’est une fille pour qui j’ai beaucoup de respect, beaucoup d’admiration, cette fille-là m’anime. […] C’est un gros projet, parfois je trouve ça gros, si gros que ça m’effraie.» Pour une première fois, elle interprétera son propre rôle, celui de Christine Beaulieu, une actrice issue d’une famille indépendantiste qui, poussée par le zèle d’une amie dramaturge, se retrouve au cœur d’une immense enquête. «C’est très dur comme posture, j’y suis très vulnérable. Je sais que je suis le plus honnête possible quant à ma démarche; après, c’est aux gens de voir, ils pensent bien ce qu’ils veulent de moi.»

Les raisons pour lesquelles Annabel a préféré diriger Christine dans ce projet plutôt que de le mener elle-même sont multiples. Lorsqu’on pose la question à l’actrice, elle cite aussitôt un passage de la pièce où son collègue de scène, Mathieu Gosselin, analyse la dramaturge: «Pour moi, une femme anglophone élevée à Westmount par un économiste conservateur serait la bonne personne pour faire une enquête citoyenne sur une société qui a rendu le peuple québécois francophone maître chez lui! Are you fucking kidding me, Christine?» Pas besoin d’en rajouter.

Et comme chaque projet vient parfois avec son lot de chance, ni la dramaturge ni l’actrice n’avaient prévu que l’élaboration de l’enquête allait se faire au même moment où le gouvernement du Québec allait revoir sa politique énergétique pour les 15 prochaines années, donnant ainsi l’occasion à Christine Beaulieu de se présenter lors des consultations publiques aux quatre coins du Québec. C’est à travers cette implication citoyenne qu’elle a réalisé la portée du projet: «De voir comment une citoyenne qui part de zéro réussit à se débrouiller pour comprendre un dossier de notre société qu’elle trouve important de saisir. De voir à quel point c’est compliqué, de voir quelles sont les structures en place dans notre démocratie pour permettre à une citoyenne de s’impliquer et de comprendre. De voir comment ça marche, comment parvenir à avancer là-dedans. Et finalement, de voir le chemin parcouru et de se demander si une citoyenne peut vraiment influencer des décisions gouvernementales.» 

La pièce est mise en scène par Philippe Cyr, Christine Beaulieu partage la scène avec Mathieu Gosselin qui interprète, à lui seul, près d’une quinzaine d’intervenants différents dans l’enquête, alors que Mathieu Doyon s’occupe des différentes projections. Dès le départ, Soutar et Beaulieu ont voulu penser la pièce comme un podcast, inspirées par le succès de Serial; elles se sont rapidement rendu compte que le projet devenait trop gros, qu’il devait avoir une pérennité à l’extérieur du théâtre même, dans l’optique simple de rejoindre le plus de monde possible, car la question fondamentale du projet rejoint la majeure partie des Québécois. Déclinant les trois premiers épisodes de ce théâtre-podcast, ce projet a déjà réussi à créer des ponts: «Quand on s’est rendu compte, le soir de la première, que les gens de la Fondation Rivières et les gens d’Hydro-Québec se retrouvaient dans la même salle, à la même heure, dans la même rangée pour voir le même spectacle, on a réalisé qu’on avait créé cette rencontre-là, et ça, c’est galvanisant.»

L’enquête en soi n’est pas terminée. La pièce reprend les planches de La Licorne avec les trois premiers épisodes pour poursuivre le dialogue, et ainsi ajuster la suite des choses. À bord d’une auto électrique, l’équipe prendra la route cet automne pour se rendre à la Romaine et poursuivre sa démarche. C’est en avril 2017 que les deux derniers épisodes de J’aime Hydro seront présentés à l’Usine C pour clore le projet qui les anime depuis près de trois ans. Voir le théâtre comme un espace de création et de dialogue, comme un légitime lieu de questionnements démocratiques et comme le point de chute d’une démarche citoyenne, c’est un peu tout ça J’aime Hydro.

Du 28 novembre au 9 décembre 2017
Au Théâtre de la Bordée