Sounjata
Scène

Sounjata

Issue d’une rencontre entre Alexis Martin du Nouveau Théâtre Expérimental (NTE) et du marionnettiste malien Yaya Coulibaly à Marrakech en 2011, Sounjata est une offrande singulière proposée par l’Espace Libre. Réunissant sur scène deux comédiens maliens, un musicien et concepteur musical marocain ainsi que deux acteurs québécois pour entourer le marionnettiste, cette pièce se veut une rencontre à plusieurs échelles.

Steve Plante et Karine St-Arnaud incarnent ici deux agronomes canadiens dépêchés à Bamako pour y faire quelques prélèvements. Les employés de l’auberge – où il ne semble pas y avoir de chambre réservée à leurs noms – les feront voyager dans le temps par le conte oral, qu’ils maîtrisent à la perfection. Habib Dembélé interprète ici un concierge d’auberge, mais surtout un griot, ces gens qui racontent les histoires d’un temps révolu, et qui sont en quelque sorte la mémoire d’un pays. C’est dès cet instant que la magie et les marionnettes de Yaya Coulibaly entrent en scène.

Bien que les prémisses dramaturgiques de cette rencontre en québécois et malien puissent sembler un peu minces, on l’oublie assez rapidement lorsque la grande histoire entre en jeu. C’est celle d’une épopée réunissant tous les ingrédients essentiels: actes héroïques, sorcellerie, mythes fondateurs, trahisons, miracles… Tant les agronomes que le public glisseront tranquillement dans ce folklore malien, oubliant un instant le théâtre de la rue Fullum dans lequel ils se trouvent.

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Sounjata – Crédit photo : Pascale Gauthier-Dionne

Sounjata – ou Soundiata Keïta – fut le fondateur de l’Empire du Mali, au XIIIe siècle. Son histoire est connue de part et d’autre du continent africain, via un conte oral qui se transmet de génération en génération, et ce depuis des millénaires. Son importance est intimement liée à la fondation de son empire ainsi qu’à la Charte du Manding (cœur ancien de l’Empire du Mali), sorte de déclarations des droits et libertés abolissant l’esclavage datant de 1236. Un peu comme tout le reste du spectacle, on y croit si on veut bien, n’en reste pas moins que le texte d’Alexis Martin amène de ce côté-ci de l’Atlantique tant un personnage qu’une histoire dont nous ignorons l’existence.

Martin, qui signe aussi la mise en scène, n’hésite pas à intervenir à même sa pièce, entrant en scène après près d’une heure de représentation pour demander à son comédien (Steve Laplante) de cesser de questionner la rationalité du récit. Une contextualisation intéressante, tout ce qu’il a de moins pédagogique, pour ouvrir le dialogue sur nos réticences occidentales à parfois croire au symbolique et au conte.

Puis Yaya Coulibaly interpelle Steve Laplante – ainsi que tous les cyniques dans la salle – en demandant «Qu’est-ce que le réel enchantement?» Celui du Malien quittant Bamako et son pays pour les ruelles de Paris, invisibles aux yeux de ceux qui sont rivés sur leurs écrans bleutés et intelligents, répondant aux aléas du rationalisme économique tant adulé? C’est un peu ce que propose Sounjata, l’espace d’un soir, quelque chose comme un renversement de nos a priori, de notre façon de concevoir le monde.

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Sounjata – Crédit photo : Pascale Gauthier-Dionne

La conception sonore signée Zakariae Heddouchi enrobe parfaitement le monde dans lequel Coulibaly et ses marionnettes nous transportent, lieu de perte de repères et d’enchantement. Passeur d’une tradition millénaire et propriétaire de plusieurs milliers de marionnettes, Yaya Coulibaly est à son premier passage à Montréal et il nous montre parfaitement pourquoi, d’Afrique en Europe en passant par l’Asie, certains le traite de magicien. Il y a une simplicité et une bonhomie dans son art qui parvient à figer le temps, l’espace d’une représentation.

Si cette nouvelle pièce du NTE est née d’une rencontre, c’est aussi exactement ce qu’elle propose. Une rencontre à la fois millénaire et contemporaine, réelle et chimérique, atteignant un émerveillement simple et précieux.

 

Sounjata
À l’Espace Libre jusqu’au 8 octobre
Texte et mise en scène: Alexis Martin
Conception des marionnettes: Yaya Coulibaly
Conception sonore: Zakariae  Heddouchi
Avec: Yaya Coulibaly, Habib Dembélé, Philippe Koné, Steve Laplante et Karine St-Arnaud