Tartuffe : Molière dans la Révolution (très) tranquille
Scène

Tartuffe : Molière dans la Révolution (très) tranquille

Reprendre ce grand classique du répertoire qu’est Tartuffe, c’est le luxe que s’est offert Denis Marleau avec sa partenaire Stéphanie Jasmin. Sa belle distribution (Emmanuel Schwartz, Anne-Marie Cadieux, Benoît Brière…) se produit jusqu’au 22 octobre prochain sur la scène du Théâtre du Nouveau Monde, qui fête d’ailleurs ses 65 ans. Des retrouvailles avec Molière, puisque Marleau avait déjà monté Les Femmes savantes, placées dans le contexte de la France des années 50, pièce qui a été rejouée en 2012 au TNM.

Cette fois-ci, le metteur en scène place son Tartuffe dans le Québec en pleine Révolution tranquille. Chevelures laquées tout en volume, chandails à cols roulés, robes Courrèges et motifs fleuris, les costumes signés Michèle Hamel sont pop et plein de couleurs, et nous transportent directement en 1969 – soit trois siècles exactement après la première de la pièce en France. La scénographie de Max-Otto Fauteux, malheureusement un peu statique, figure un intérieur tout en cubes évoquant les angles d’Habitat 67.

Une mélodie de Robert Charlebois introduit le spectacle, et s’ensuivent des extraits de discours de Pierre Elliot Trudeau puis du cardinal Paul-Émile Léger…  On peut également écouter Tartuffe (Emmanuel Schwartz, également musicien) faire un petit morceau psychédélique à la guitare électrique, avant de s’adonner à une sérénade acoustique très planante pour Elmire, la femme d’Orgon. Avec ses pantalons pattes d’éph’,  sa veste en suède violette et ses cheveux longs, le comédien a des airs de Lennon – le crucifix au cou en plus.

Un manque d’audace?

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Si l’atmosphère des sixties est bien rendue, on regrette cependant que le parallèle avec la Révolution tranquille n’ait pas été poussé plus loin, car il y avait du potentiel. Le texte aurait pu être un peu adapté, et la pièce se serait enrichie de quelques clins d’œil au flower power distillés dans le jeu de scène. Bref, la lecture de Marleau manque un peu d’audace et nous laisse sur notre faim… Surtout pour un spectacle d’ouverture de la saison-anniversaire du TNM, et pour une des pièces les plus controversées du dramaturge français.

Quand ils reprennent un classique, il semblerait que nos metteurs en scène contemporains se sentent obligés de lui apporter un twist jamais vu, à le placer sous un nouveau prisme spatio-temporel; d’accord, mais qu’ils y aillent à fond. Sinon, un bon classique bien joué et solide techniquement ne déplaira jamais, même si sa mise en scène et scénographie ne sont pas révolutionnaires.

On salue cependant le contraste parfait entre cette ambiance chandails à losanges et peace and love et le texte de Molière, tout en alexandrins et vocabulaire du XVIIe siècle. Les comédiens nous le rendent d’ailleurs dans une élocution d’époque travaillée – ah, ces diérèses parfaites! Anne-Marie Cadieux maîtrise son rôle d’épouse rusée à merveille, faisant éclater de rire la salle d’une seule expression de visage. Emmanuel Schwartz – qui nous fait décidément de plus en plus penser à l’acteur américain Adam Driver – est quant à lui hypnotisant en Tartuffe perdu et manipulateur…

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Tartuffe, de Molière
mise en scène de Denis Marleau
Jusqu’au 22 octobre au Théâtre du Nouveau Monde – supplémentaire le 26 octobre

Québec: mardi 8 novembre à la Salle Albert-Rousseau