«Terminus», une troublante escapade nocturne
Scène

«Terminus», une troublante escapade nocturne

C’est un choix audacieux que de travailler un texte de Mark O’Rowe, dont les mots sombres nous transposent dans un univers glauque et rude. Mais la Manufacture et le Théâtre de La Licorne n’en sont pas à leur première rencontre avec cette plume irlandaise: en 2002 puis 2005, ils nous avaient en effet présenté «Howie le Rookie» puis «Tête Première», du même auteur.

Mais ce «Terminus», écrit en 2006, est particulièrement trash – d’ailleurs, le metteur en scène Michel Monty avait dû s’arrêter à la moitié de sa première lecture pour digérer le texte, tant il le trouvait violent. On y tue, on y boit, on y meurt, on y aime, on y viole… Au passage, chapeau bas pour la solide traduction d’Olivier Choinière, qui a dû travailler avec un texte très oral et constellé d’argot irlandais.

Cette pièce se construit autour d’une succession de trois monologues qui s’entrecoupent. Trois histoires, trois destins distincts mais qui pourtant s’entremêlent, à l’issue d’une nuit où tout se précipite. Les trois personnages cristallisent leurs peurs, fantasmes, névroses, isolation et solitude dans des actions désespérées pour se dépasser.

On suit une mère, qui tente d’oublier ses regrets envers sa fille en faisant du bénévolat. Une jeune femme trompée et abandonnée par son fiancé, au bord de la dépression dans la monotonie de sa vie. Un homme maladivement timide qui a fait un pacte avec le diable… Et cette nuit-là, ils vont décider respectivement de sauver un bébé, vivre l’amour et se venger.

Martine Francke
Martine Francke

«Univers merveilleux et effrayant»

Ces histoires nous emmènent dans un Dublin sombre mais qui existe bien, où l’horreur de la solitude, la détresse familiale ou sentimentale sont réelles. Et sous la plume de O’Rowe, elles tournent parfois au surnaturel… Ce «Terminus», cette nuit où tout bascule, c’est un «univers merveilleux et effrayant», comme le décrit Michel Monty. Un voyage au bout de la nuit où on sent la chair, au propre et au figuré, comme dans les tranchées de Céline.

Sa mise en scène, très minimaliste, consiste juste en quelques projections vidéo d’images oniriques et floues, en noir et blanc, derrière les comédiens. Car ce sont eux qui portent la puissance de ces monologues: Martine Francke, Alice Pascual et Mani Soleymanlou. Et après tout, le texte prend déjà suffisamment de place pour ne pas encombrer plus la scène.

Michel Monty a donc concentré ses efforts sur la direction des artistes, qui sont époustouflants et à fleur de peau. Leur jeu est physique, ça crie, ça parle vite, fort, ça transpire… Les trois comédiens nous livrent ainsi une belle performance pendant près de deux heures, dans un jeu qui monte en intensité au fil de la nuit. En face, on est scotchés au siège, on fait parfois la grimace pendant le récit descriptif d’un meurtre, mais on reste en suspens.

Ils arrivent à amener du second degré dans la violence, de l’humour noir dans le noir, et à faire rire le public devant le spectacle de ces personnages parfois perdus dans une escapade qu’ils ne contrôlent plus vraiment. Un peu plus de dix ans après le dernier texte de Mark O’Rowe sur les planches de La Licorne, on peut dire que c’est un retour plus que réussi… Et qui réveille le public.

Mani Soleymanlou
Mani Soleymanlou

«Terminus», de Mark O’Rowe
Mise en scène de Michel Monty
Jusqu’au 29 octobre au Théâtre de la Licorne