Larry Tremblay : Résister à la littéréalité
Scène

Larry Tremblay : Résister à la littéréalité

C’était il y a trois ans à peine. Peu de temps après la publication de son roman L’orangeraie, l’auteur Larry Tremblay raflait tout: Prix des libraires du Québec, Prix littéraire des enseignants, Prix des lecteurs et Prix du Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean, en plus d’être finaliste au Prix littéraire du Gouverneur général, au Prix des cinq continents et au Prix Ringuet. Maintenant édité en France dans la collection Folio et en vente dans douze pays, le livre fut ici transformé en pièce de théâtre par Claude Poissant au Théâtre Denise-Pelletier.

On aurait pu croire qu’après de tels mois, Larry Tremblay aurait pris une pause, mais c’est pourtant loin, très loin, d’être le cas. Cet automne seulement, il publie un nouveau roman aux éditions Alto, deux nouvelles pièces de théâtre aux éditions Lansman – qui seront montées coup sur coup en novembre au Quat’Sous et à la Licorne – en plus d’un roman graphique pour la jeunesse et la réédition d’un texte paru il y a 10 ans. Cinq publications et deux pièces dans les théâtres montréalais, voilà l’automne de cet acteur, dramaturge, romancier, poète et danseur de kathakali.

C’est Éric Jean qui signera la mise en scène du Joker, l’une des deux nouvelles créations du dramaturge. Par cette figure, Tremblay tente d’aborder la peur de l’autre: le joker, comme une ombre à valeur variable, qui suit les personnages tout au long de la pièce. C’est sous l’invitation de Benoît Vermeulen et du théâtre Le Clou qu’il se met à travailler sur Le garçon au visage disparu pour La Licorne. Avec comme prémisse de départ une mère qui réveille son adolescent pour le retrouver sans visage, cette pièce du dramaturge est bâtie autour de la création identitaire au tournant de l’adolescence. Bien qu’abordant deux thématiques plutôt différentes, il y voit a posteriori un leitmotiv: «Il y a un leitmotiv qui a traversé les deux pièces de façon assez étrange, soit la figure du mort-vivant. Dans Le garçon au visage disparu, le mort-vivant représente l’incertitude identitaire de l’adolescent, entre la mort et la vie. Les adolescents sont attirés par l’horreur, par la mort. Alors que dans Le Joker, j’interroge la peur de l’autre pour en arriver à la conclusion que l’autre, c’est aussi nous. La figure du mort-vivant arrive ici dans le portrait qu’on tisse de l’autre.»

Si la figure du mort-vivant est au cœur de ses deux propositions théâtrales, c’est étrangement la littérature elle-même qui est au centre de ses deux projets littéraires. Dans L’impureté, Larry Tremblay s’est amusé de la littérature et de ses codes pour créer un roman court et efficace. «Je m’intéresse à la notion de littérature comme quelque chose d’efficace. Alice [personnage du roman] veut piéger son mari, et moi, Larry Tremblay, je veux piéger mon lecteur. Je mets la littérature à l’œuvre, tant dans ses pièges que dans son côté pervers.»

La réédition de son texte La hache est jumelée avec un texte écrit à la même époque: Résister à la littéréalité. «On a déplacé le projecteur sur le vécu de l’artiste plutôt que sur son œuvre. L’œuvre devient une anecdote, une protubérance. Moi, je suis contre ça. La téléréalité, c’est ça; on provoque, on produit du vécu. Et la littérature est en train de tomber dans ce panneau en créant ce que j’appelle de la littéréalité. Et malgré les 10 ans qui séparent l’écriture de cette récente publication, j’ai la ferme impression que cette charge est encore très pertinente.»

Le discours littéraire peut sembler parfois assez déstabilisant. «C’est rendu que lorsqu’on qualifie une œuvre de littéraire c’est un défaut, et que lorsqu’on se fait qualifier d’intellectuel c’est une insulte!» Pour celui qui a abordé les médias dans trois pièces, ils ont quelque chose à voir avec ça. «L’imbécillité et la bêtise sont beaucoup plus médiatisables que l’intelligence. Si les médias ne font pas leur propre procès, on va avoir un gros problème.»

Malgré ses nombreux projets et en dépit qu’il soit très sollicité, on peut souvent voir l’auteur aux premières de théâtre ou encore discuter avec lui des récentes publications en littérature québécoise. Il se doit de rester en contact avec ses contemporains. «Bien oui, car tout bouge. La langue bouge, la pensée bouge, les symboles bougent. Si tu restes passéiste, tu restes dans une illusion inutile, inexistante. Car même le passé bouge, il subit le regard de nous, contemporains; on le redécore et on le revisite. Être contemporain, ça demande beaucoup plus d’énergie et c’est beaucoup plus dangereux, car c’est là où tu t’impliques, que tu t’engages, et c’est là où tu vas avoir des frictions avec des idéologies et des pensées, c’est là ou tu dois être responsable. C’est l’engagement sartrien qui est encore valable selon moi.»

Il ne faut pas lire à travers ces lignes les propos d’un artiste au regard acerbe ou désabusé, non. Il sait exactement où se positionner pour continuer à avancer: «Je suis un homme du présent et j’ai l’optimisme du présent, car c’est ici et maintenant qu’on peut faire des choses. Je ne me fais pas avaler par mon pessimisme analytique. Car sinon, je n’avancerais plus.»

Larry Tremblay, L’impureté
Éditions Alto, 2016, 160 pages

Larry Tremblay, La hache
Éditions Alto, 2016, 80 pages

Le Joker
Texte: Larry Tremblay
Mise en scène: Éric Jean
Au Théâtre du Quat’Sous
Du 7 novembre au 2 décembre

Le garçon au visage disparu
Texte: Larry Tremblay
Mise en scène: Benoît Vermeulen
Au Théâtre La Licorne
Du 15 au 25 novembre