1984 : dans la peau de Big Brother
Scène

1984 : dans la peau de Big Brother

Reprendre un roman sur scène n’est jamais chose aisée. Surtout pour une œuvre comme 1984, le monument de George Orwell… Mais c’est un pari réussi que nous présente actuellement le Théâtre Denise Pelletier.

Big Brother te regarde. Ce roman d’anticipation est déjà un tantinet angoissant à lire, et le regarder joué sur scène l’est encore plus. Guillaume Corbeil a traduit l’adaptation théâtrale qu’en ont faite Robert Icke et Duncan Macmillan, rendant un texte en français aussi poignant et vif que sa version originale. Cette fiction nous parle, toujours – d’autant plus en ce 10 novembre post-élections américaines. On pense aussi à Edward Snowden, à Wikileaks… Bref, à notre société.

À la mise en scène, Édith Patenaude. Elle utilise l’espace de la scène tout en profondeur, nous éloignant des comédiens. Mais on les suit de près, grâce à des micros et une caméra qui filme les visages en gros plan tout le long de la pièce – visages qui nous sont rendus sur grand écran au-dessus de la scène. Très cinématographique, ce procédé met en abyme la société orwellienne, la caméra invisible des comédiens figurant un Big Brother omniprésent.

Parfois les comédiens jouent dos à nous, mais ce n’est pas grave, on suit tout grâce à cette caméra qui filme jusqu’aux moments intimes entre le héros, Winston Smith, et Julia dont il tombe amoureux. On voit les émotions en gros plans à l’écran, les regards, les soupirs… Comme dans une télé-réalité d’aujourd’hui.  Le spectateur est voyeur devant les personnages de la société d’Océania, où l’on ne s’étonne plus d’être surveillé chez soi.

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C’est une société froide, tout en lumières blafardes et métal. Le jeu de lumières travaille autour d’un noir et blanc permanent, le reste de la scène étant souvent plongé dans la pénombre tandis que le comédien est sous les projecteurs. Cet éclairage individuel est alterné avec des tableaux très lumineux aux néons stroboscopiques. Un contraste qu’on retrouve dans le son: aux scènes calmes et répliques presque chuchotées s’opposent des passages de cris, de hurlements et de voix mécaniques.

On souligne notamment le jeu de Maxim Gaudette, qui campe un Winston Smith solide et juste, et le puissant Alexis Martin en O’Brien. Le décor est sobre mais technologique, futuriste, bleuté, tandis que les costumes sont sans âge et sans époque. 1984 c’est 2016, c’est hier, c’est demain aussi.

Cette pièce, coproduite avec le Théâtre du Trident de Québec, c’est 1h45 de spectacle lourd, noir, oppressant, mais révolté. Fidèle au livre dystopien, somme toute. Et dont on sort mal à l’aise, un peu chamboulé. Mais après tout, c’est l’objectif d’Orwell, et aujourd’hui d’Édith Patenaude et de ses comédiens. Car n’oubliez pas, Big Brother vous regarde…

Et puis, en quittant le théâtre, les spectateurs rallument leur téléphone intelligent, font des photos qu’ils postent sur Facebook, se géolocalisent, et partagent toutes ces données dans l’inconnu. Conte philosophique? Roman de dystopie? Ou réalité très, très proche de nous?

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1984, de George Orwell
Adapté par Robert Icke et Duncan Macmillan
Traduit par Guillaume Corbeil et mis en scène par Édith Patenaude
Jusqu’au 16 décembre au Théâtre Denise-Pelletier

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