Le Joker : Vaudeville et morts-vivants
C’est avec Le Joker, une nouvelle pièce du dramaturge Larry Tremblay, que le metteur en scène Eric Jean clôt son passage de 12 ans comme directeur artistique du Théâtre de Quat’Sous. Avec un texte aussi particulier que complexe, il enfonce son public dans une nuit éternelle, une nuit agissant tel un accélérateur de particules, où le temps fige et file à la fois, où chacun est son double et où le joker erre et dicte la destinée plutôt funeste de chacun des personnages.
Dès l’ouverture de la pièce, le personnage du joker – interprété par Pascale Montpetit – se trouve sur scène avec seulement sa tête dépassant du plancher. Éclairé d’un faisceau lumineux, ce visage interpelle Olivier (André Robillard), courant comme un fou en pleine nuit pour aller rejoindre sa copine Alice (Marilyn Castonguay). La mère de ce dernier s’est suicidée il y a trois jours – s’immolant par le feu, comme la poète Huguette Gaulin – et il veut absolument lire le mot qu’il a composé pour les funérailles qui ont lieu le lendemain. Ce joker sera présent tout au long de la pièce, personnage à géométrie variable qui s’immiscera, commentera et agira dans le destin de tout un chacun.
Tout aurait été plus simple, n’eût été cette nuit-là, cette nuit où les morts reviennent à la vie, où les autres, qu’on doit craindre, arrivent et où les relations naissent et meurent, où les grossesses débutent et viennent à terme, où les rêves deviennent réalité, tout comme les cauchemars. C’est dans ce désordre particulier que le joker erre, comme le seul pouvant se poser en toute connaissance de cause, comme le seul pouvant les diriger dans l’absurdité dans laquelle tout le monde s’enfonce.
La scène du Quat’Sous est bien remplie, même trop remplie. Dans un décor sur deux étages, le rez-de-chaussée est occupé de deux appartements, la chambre d’Alice et le salon d’Olivier, alors qu’on retrouve au deuxième une rue sous les belvédères. Les effets sont multiples: on peut se sortir la tête du plancher, plonger dans un panier de linge, se lancer en bas d’un balcon, arriver en cavale dans une porte-patio, se perdre dans un téléviseur ou encore courir sur la gravelle de la rue. Une scénographie qui ressemble plus à un terrain de jeu qu’à un réel support dramaturgique.
Déjà qu’il s’agit d’un texte complexe, voire nébuleux par moment, le spectateur à toute la misère du monde à y accéder tellement les obstacles sont nombreux. Que ce soit le décor susmentionné, ou encore le jeu des acteurs à qui on semble avoir demandé de jouer gros, très gros, pour appuyer le burlesque de la chose. Que ce soit Pascale Montpetit qui, la plupart du temps, doit jouer seulement avec son visage et qui se retrouve à grimacer pendant plus d’un quart d’heure. Ou encore l’emballage musical qui semble vouloir rappeler la série télévisuelle française Les revenants, appuyant (peut-être trop) l’étrangeté du texte, comme si on ne lui faisait pas confiance.
Que ce soit les réflexions sur la poésie lorsque Olivier, mauvais poète, trouve enfin «un nouveau vocabulaire», ou encore Simon ce comptable beige qui rêve, que dis-je, qui devient policier l’instant d’une nuit, s’amusant avec ses nouveaux jouets – fusil, bâton tactique et autre –, errant dans la ville comme un vigile, car les autres arrivent, ils sont à la porte, ils sont là. Ou même encore le personnage du joker, ce jeu de double qui est en chacun de nous… Dans tous les cas, ces propositions réflexives demeurent toujours très loin de nous, comme entravées par tout le reste.
À la fin de cette pièce, qui semble se terminer entre un vaudeville et un mauvais film d’horreur, on ne parvient pas à savoir si les réflexions de Larry Tremblay sont trop minces ou incomplètes, ou si elles se perdent et se noient dans une mise en scène tape-à-l’œil et futile, ainsi que dans un jeu décalé et tout compte fait décevant. On reste avec l’imperturbable impression d’un metteur en scène qui a voulu s’éclater une dernière fois avant de partir, au grand dam d’une proposition théâtrale cohérente.
Le Joker
Texte: Larry Tremblay
Mise en scène: Eric Jean
Avec Louise Cardinal, Marilyn Castonguay, Normand Daneau, Pascale Montpetit, André Robillard
Assistance à la mise en scène: Chloé Ekker
Décor: Pierre-Étienne Locas
Costumes: Cynthia St-Gelais
Présenté au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 2 décembre 2016
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