Des promesses, des promesses : Seule sur scène
Lorsque le dramaturge écossais Douglas Maxwell était en ville l’année dernière et qu’il a entendu la comédienne Micheline Bernard lire des extraits de sa dramaturgie, il a eu un choc. Rapidement, il a signalé à son hôte, le directeur artistique de La Licorne Denis Bernard, qu’il avait écrit une pièce pour cette comédienne. Il était convaincu que sa pièce, montée il y a trois ans, était pourtant destinée à cette comédienne qu’il ne connaissait pas quelques heures plus tôt.
C’est ainsi que le texte Promises, promises est arrivé sur le bureau de la traductrice Maryse Warda avant d’aboutir quelques semaines dans la salle de la Petite Licorne. Dans une mise en scène de Denis Bernard, Micheline Bernard, cousine de l’autre, signe son premier solo en carrière, incarnant ici le personnage de Miss Brodie, une enseignante sortant de sa deuxième retraite pour faire un remplacement de maladie dans une école primaire de Londres. La rentrée scolaire sera bousculée par le mutisme d’une élève somalienne censée recevoir la visite d’intervenants de sa communauté pour opérer un rite de passage avec la jeune fille dans l’espoir de la voir retrouver la parole. Pour Miss Brodie, il s’agit ni plus ni moins que d’un exorcisme.
Sur scène, à droite, une simple table accompagnée de deux chaises et d’un abreuvoir, rappelant un corridor scolaire, et à gauche, un dénivelé de scène aux allures de passerelle d’un défilé de mode sur lequel Miss Brodie nous montrera maintes fois l’importance de savoir rouler les hanches. Pour celle qui utilise «[sa] sexualité comme un étui à revolver», sa condescendance et sa supériorité se transportent dans sa démarche et son langage. Elle regarde de haut ses supérieurs tout comme ses collègues de travail; cette éternelle célibataire trimballe ses certitudes comme sa confiance avec l’assurance d’une première dame. Et on se doute bien que tout cela sera mis à rude épreuve.
On s’en doute – car l’histoire est convenue –, cette petite fille somalienne, Rosie, se présentera rapidement comme le double de Miss Brodie, alors que c’est dans le silence de la petite que les secrets de l’enseignante trouveront écho. On comprend rapidement que ses deux retraites n’en sont pas, que le drame n’est jamais bien loin. Que sa prestance, sa posture et sa façon de se jouer des hommes une vie durant sont autant de mécanismes pour se préserver de l’enfer des autres. Qu’une cicatrice profonde l’habite et que seule la bouteille au fond de son sac semble pouvoir la panser.
Malgré tout, Micheline Bernard porte la pièce tout comme elle transporte le public. On peut rapidement comprendre le coup de foudre du dramaturge écossais pour cette comédienne tellement le rôle semblait être fait sur mesure pour elle. C’est peut-être même le cas, car à elle seule, la Miss Brodie de Micheline Bernard nous fascine jusqu’à nous clouer sur nos sièges. Cette proposition est si forte qu’on aurait pu se débarrasser de quelques rebondissements dramaturgiques, dont la présence, vu la performance de l’actrice, semble inutile.
Sa fierté et son orgueil, sa posture et sa justesse exaltent le jeu de la comédienne dans ses moindres silences, alors que la mise en scène de Denis Bernard semble bien s’effacer derrière la grandeur de la performance de son actrice. Seule sur scène, elle nous guide à travers ses collègues de travail, les membres de la communauté de Rosie, son supérieur. Elle nous entraîne dans sa jeunesse, dans des dialogues avec son père tailleur et sa sœur complice, sans jamais nous perdre. Ses ruptures de ton sont justes et claires, et elle porte seule ce texte et cet imaginaire qu’elle parvient à transcender pour les faire siens. L’instant d’un soir, dans l’intimité de la Petite Licorne, Micheline Bernard réaffirme la grandeur de son talent, et nous, nous nous retrouvons debout, à l’applaudir.
Des promesses, des promesses
Texte: Douglas Maxwell
Traduction: Maryse Warda
Mise en scène: Denis Bernard
Avec: Micheline Bernard
À la Petite Licorne jusqu’au 19 novembre
[youtube]yyAXAK2aX3E[/youtube]