La neige tombe sur l’écran au fond de la scène de l’Espace Go à l’entrée des spectateurs alors que les éléments scéniques sont cachés sous des draps blancs laissant deviner un piano à queue en plein cœur de l’espace. McCoy arrive sur scène en manteau d’hiver, récitant Soir d’hiver de Nelligan en norvégien. «Je suis la nouvelle Norvège.» Le ton est donné. Accompagné au piano par Esther Charron qui revisitera principalement des pièces du romantique Edvard Grieg, McCoy tracera avec nous son chemin jusqu’à l’intérieur du cercle polaire scandinave. Né d’une mère norvégienne dont la mère émigra en Amérique en 1956, McCoy reste fasciné par le peu de choses qu’il connaît sur sa grand-mère et le pays de ses ancêtres.
Lui-même immigré au Québec, il tissera tout au long de la pièce de plus en plus de liens entre son parcours et celui de sa grand-mère maternelle, décédée alors qu’il avait à peine trois ans. La scénographie épurée se compose de quelques bûches qui deviendront tour à tour un lit, un siège d’avion, une boîte postale ou encore un lave-vaisselle. L’essentiel de la mise en scène repose sur l’écran multimédia sur lequel sont projetés les artéfacts de cette intrigante Herbjørg Hansen. Avec McCoy, on feuillettera son passeport ainsi que les photos trouvées à la dérobée.
Au même moment où le périple se déplie devant nous, on n’hésite pas à parsemer ce récit autofictionnel d’informations sur le pays de destination; de son indépendance en 1905 à ses artistes les plus connus – Edvard Grieg, Edvard Munch et Henrik Ibsen –, on tente de bonifier la quête familiale en la doublant de faits et de dates. Cette intégration est par contre malhabile, juxtaposant les œuvres de ces derniers avec une photo en noir et blanc flirtant avec la notice nécrologique; on a plus l’impression d’errer entre les évidences de Wikipédia et d’un Lonely Planet que de réellement plonger dans une histoire et une culture, qui est à la fois si étrangère et si proche de nous d’une certaine façon.
L’artiste jumelle ici ce récit identitaire à la perte d’autonomie de ses parents ainsi qu’à certaines mauvaises nouvelles médicales. Plus on avance dans le spectacle, plus tout se mêle en un maelström du réel où le passé et le présent s’entrechoquent. On perd par contre le fil conducteur de ce Norge, récit auquel on a de la difficulté à s’accrocher. Sautant du coq à l’âne, du cercle polaire à un hôpital montréalais, de Kjerringøy à Chicago, McCoy est parfois drôle, parfois touchant, mais souvent éparpillé; l’artiste laisse l’impression qu’il tente plus de se convaincre lui-même de cette narration romantique que de s’adresser réellement à un public.
Le spectacle se présente comme une succession d’idées bien précises, de moments scéniques réfléchis, mais qui parviennent difficilement à former un tout cohérent. Le multimédia demeure plutôt futile alors que la quête se perd en conjectures – elle qui devait être vraie et sensible s’entremêle plutôt dans une faible analyse de notre rapport à la nordicité, alors que le récit plus personnel se présente comme un mécanisme d’attendrissement plutôt qu’un réel moteur dramaturgique. Il n’en demeure pas moins que la pianiste Esther Charron fait un travail remarquable tout au long de la pièce, parvenant à épouser chaque tournant du texte et calibrant habilement les moments où elle occupe l’avant-scène et les autres où elle accompagne le texte. Kevin McCoy livre un spectacle honnête dans lequel il s’investit pleinement, mais il en résulte une pièce qui ne se maintient qu’à la surface des questionnements qu’elle propose. Car la nordicité ne se définit pas qu’à un simple manteau d’hiver et quelques flocons flottant à l’écran.
Norge
Texte et mise en scène: Kevin McCoy
Pianiste: Esther Charron
À l’Espace Go jusqu’au 10 décembre
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