Scène

Philippe Boutin : L’équilibre dans les extrêmes

Ses projets sont ambitieux, parfois même démesurés, conçus et portés avec une fougue athlétique et une sensibilité poétique. Il se considère avant tout bien humblement comme un créateur, un grand curieux, amoureux des extrêmes et des alliances entre toutes les formes d’art. Portrait de Philippe Boutin, jeune artiste au talent novateur.

En l’espace de quelques années seulement, depuis sa formation en théâtre au Collège Lionel-Groulx, il s’est adonné sans hésitation à l’écriture, la mise en scène, le jeu et la danse. À l’occasion d’un stage en troisième année, il travaille avec Dave St-Pierre, qui l’invite à partir en tournée avec sa compagnie pour Foudres. Une rencontre artistique et amicale qui aura un impact sur ses premières créations d’envergure, où St-Pierre signera les chorégraphies et agira comme mentor. «Il a transformé ma vision de l’art et de moi-même à travers la création. Ça peut paraître prétentieux, mais je ne considère pas que je fais du théâtre; je fais des spectacles.»

Présenté en ouverture du OFFTA en 2013, repris à Longueuil en juin 2014 et publié en 2015 aux éditions Somme toute, Détruire, nous allons est donc le premier spectacle de Philippe Boutin où il s’est donné le rôle de maître de cérémonie d’une distribution imposante réunie dans un lieu inusité, épaulé à la dramaturgie par Étienne Lepage. Histoire d’amour tragique qui mêle danse et théâtre, divers registres et naviguant à travers les époques, œuvre créée à partir d’extraits de textes classiques de Camus, Shakespeare et Rostand, Détruire nous invitait à voir du théâtre sur un terrain de football. Un projet qui s’est développé majoritairement, comme Le Vin herbé, chez le metteur en scène: «J’étais chez nous à faire des dessins, je devais être tout le temps préparé; on n’avait pas beaucoup de moyens et de temps de répétition.»

Son audace l’a ensuite poussé à s’attaquer, avec la compagnie BOP, au Vin herbé de Frank Martin. L’immense opéra pop, qui provoquait la rencontre de la danse, de la mode, de Tristan et Iseult avec des figures de la culture pop, est finaliste au Prix Opus dans la catégorie Spectacle de l’année à Montréal. Avec plus de 60 danseurs, comédiens et musiciens, la présence de Denis Gagnon aux costumes, de Huy Phong Doan aux chorégraphies de combats et de ses collaborateurs Dave St-Pierre et Étienne Lepage, Philippe Boutin s’est entouré de grands créateurs en sortant le théâtre des sentiers battus.

Philippe Boutin, Photo : Maude Chauvin
Philippe Boutin, Photo : Maude Chauvin

Ce n’est pourtant pas l’intérêt qui s’est imposé en premier chez lui. «J’aurais voulu être un sportif avant d’être humoriste, et humoriste avant d’être un gars de théâtre. C’est drôle de dire que faire du théâtre, c’était mon dernier plan! Ç’a été une découverte tardive et j’adore ça. C’est aussi pour ça que les aspects sportif et humoristique se retrouvent dans les deux spectacles que j’ai présentés avant. Dans Being Philippe Gold, on est vraiment dans l’idée du stand-up et de la prise de parole la plus simple.»

Being Philippe Gold est toujours en processus créatif. Cette dernière création, où un singe découvre qu’il est un mime, pour ensuite réaliser qu’il est maître de sa pensée et bien plus encore, intégrera un théâtre et sera interprétée par quatre comédiens, dont Philippe. «Ce show-là est un hommage à la conscience. Le singe, tout ce qui le motive, c’est de s’amuser, de jouer, de créer avec la lumière et le son. On suit l’évolution du singe à l’homme; c’est en fait une recherche afin de devenir une meilleure personne.» Une manière différente d’aborder le travail s’est présentée: «Je ne suis pas le seul maître à bord. C’est la création qui prend le dessus et se dessine d’elle-même.»

Vin Herbé
Vin Herbé, Photo : Ludovic Rolland-Marcotte

L’Usine C l’a invité en résidence pour les trois prochaines années, où il travaille en ce moment sur The Rise of the Bling Bling, qu’il a mis sur la glace afin de réaliser ses derniers spectacles. Un texte sur «l’ascension du bling bling, une constatation que nos divinités sont rendues vivantes et que ce sont des chanteurs, comme Kanye West qui se prend pour Jésus».

«Toute l’idée de Rise, explique Philippe Boutin, c’est de polir son diamant intérieur. C’est con, mais l’idée à la base c’était de rendre Jésus à la mode. Le fond des Martin Luther King, Gandhi et Socrate, c’était le discours “aimez-vous les uns les autres”. C’est kitsch, mais c’est important de nous ramener à ça, à cette éducation spirituelle qu’on n’a plus vraiment.»

Côté jeu, après avoir joué entre autres avec le Théâtre Le Clou et le PÀP, il sera l’un des interprètes des Nuits frauduleuses d’Alix Dufresne, livrant les textes d’auteurs de la génération Y qui cherchent à savoir «comment la technologie influence la poésie d’aujourd’hui et comment la poésie l’intègre».

Philippe Boutin force la rencontre d’objets hétéroclites, opposés, là où on s’y attend le moins, à la recherche de vérité et d’équilibre. En sport comme en art, il se livre entièrement, passionnément. «Pour moi, le plus beau geste poétique c’est de se défoncer et de quasiment en mourir.»

Being Philippe Gold
À la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier

Dès le 24 janvier 

Nuits frauduleuses
À la Salle Jean-Claude-Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui

Dès le 25 avril

The Rise of the Bling Bling
À l’Usine C à l’issue de la résidence 2016-2019