Scène

Le Songe d’une nuit d’été: Shakespeare remixé

Le metteur en scène Olivier Normand nous offre une adaptation très libre du Songe d’une nuit d’été, une version audacieuse de cette œuvre qu’on ne cesse de rejouer depuis la fin du XVIe siècle.

Est-il encore pertinent de monter des classiques quand les dramaturges de talent pullulent au Québec, alors qu’il y a tellement d’œuvres non jouées et non lues qu’on en fait maintenant un festival? La question est légitime. Or, dans le cas qui nous concerne ici, l’exercice est intéressant et louable. Olivier Normand se sert de Songe d’une nuit d’été comme d’une matière première à façonner, un point de départ pour créer quelque chose d’assez nouveau et surtout très personnel. L’auteur de St-Agapit 1920 et le collaborateur de longue date de FlipFabrique (la même troupe de cirque qui l’accompagne ici) s’est amusé. Une passion, un plaisir qui contamine le public.

L’introduction du spectacle est rafraîchissante, contemporaine. Lysandre devient un type qui pourrait être notre voisin, un dormeur solitaire rejoint par Thésée et Hippolyte puis Égée, Démétrius et Hermia au moment il où sombre dans le pays des rêves. Inventée par Normand, cette prémisse efficace confère un côté très comique au texte d’origine, un détachement par rapport aux mots puisque Démétrius devra prêter un livre de répliques à son rival pour qu’il soit en mesure d’entrer dans l’histoire. Le décalage, la distance que prend André Robillard avec le texte d’origine est exquise et on rit de bon cœur. Dès les premières minutes, on s’attache à son personnage franchement confus.

Lysandre (André Robillard), rejoint par Hippolyte (Valérie Laroche) et Jean-Sébastien Ouellet (Thésée) Crédit: Stéphane Bourgeois
Lysandre (André Robillard), rejoint par Hippolyte (Valérie Laroche) et Jean-Sébastien Ouellet (Thésée) Crédit: Stéphane Bourgeois

Apparaît ensuite l’auteur-compositeur-interprète Josué Beaucage, pour un premier numéro musical onirique rappelant l’univers du Cirque du Soleil, des déplacements solennels très lents auxquels viennent se greffer les acrobates. Le spectacle sera marqué par moult transitions du genre, des chants mystiques jumelés à des cabrioles elfiques qui viennent casser le rythme de ce spectacle un brin décousu – on y reviendra. Chose certaine : Olivier Normand et la scénographe Véronique Bertrand (sa collègue dans Crépuscule) ont su mettre à profit chaque recoin du plateau de la Salle Octave-Crémazie, notamment avec un trampoline, disposé à l’horizontale et au deuxième plan, qui permet aux comédiens de conserver un vaste espace de jeu.

Premier trio

La scène suivante marque l’entrée de la troupe de théâtre des ouvriers, un groupe qui s’est vu amputé de la moitié de ses membres par rapport à la version originale, mais qui ne manque pas de voler la vedette. Un trio excessivement drôle qui marque une nouvelle rupture de ton puisque Emmanuel Bédard (L’Égoïne), Marc Auger (Flûte) et Hugues Frenette (Bottom) s’expriment dans un langage familier qui sied bien au niveau social de leurs personnages, mais qui tranche avec le registre de langue résolument éloquent et shakespearien des autres. Le contraste est fort, mais on se tape sur les cuisses en voyant apparaître un Bottom coiffé à la longueuilloise et doté de la même gestuelle qu’un fan un peu pépère de Metallica.

Bottom (Hugues Frenette) et Flûte (Marc Auger) Crédit: Stéphanie Bourgeois
Bottom (Hugues Frenette) et Flûte (Marc Auger) Crédit: Stéphanie Bourgeois

Oui, les ambiances changent drastiquement dans ce spectacle. On passe du mystique des interprétations de Beaucage (brillant musicien d’ailleurs) aux dialogues terre-à-terre de Frenette et sa bande de joyeux drilles en passant par le côté franchement dramatique des triangles amoureux. On découvrira même des talents de chanteuse à Mary-Lee Picknell, un moment du spectacle où on se dit que, finalement, le metteur en scène en a peut-être fait un tout petit trop.

Il y a, ne vous méprenez pas, beaucoup d’excellentes idées dans cette adaptation de Songe d’une nuit d’été. Toutefois, la superposition des tableaux forme un tout franchement éclectique et baroque qui enthousiasmera certains et agacera les autres.

André Robillard (Lysandre), Mary-Lee Picknell (Héléna) et Mélissa Merlo (Hermia)
André Robillard (Lysandre), Jean-Michelle Girouard (Démétrius), Mary-Lee Picknell (Héléna) et Mélissa Merlo (Hermia)

N’empêche : Normand exploite la virtuosité de ses comédiens, de la très physique Mélissa Marlo (Hermia, une belle découverte), de Jean-Michel Girouard qui a su construire un Démétrius douchebag (faut le voir pointer du doigt avec cette dégaine-là), mais aussi de ses acrobates et de son musicien. Il a su mettre tout le monde en valeur et offre une production à grand déploiement, un divertissement intelligent qui nous fait passer un sacré bon moment.

Jusqu’au 11 février au Théâtre du Trident

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