Scène

Froid : Notre monstre intérieur

Pour sa première production, La brute qui pleure (un savoureux nom de compagnie) propose une pièce du grand Lars Norén, monument du théâtre suédois: Froid. Un huis clos qui gratte le mauvais qui dort en nous et qui, souvent, a tout sauf des allures machiavéliques.

Présentée pour une première fois en 2003 en Suède, Froid n’en est pas moins actuelle encore aujourd’hui, peut-être même plus que jamais. La montée de l’extrême droite en Europe, le mouvement Alt-Right aux États-Unis et nos propres relents islamophobes au Québec sont loin de s’éteindre.

Une violence banalisée

«Trump était une blague aux yeux de plusieurs personnes jusqu’à sa victoire le 8 novembre, lance Olivier Lépine, metteur en scène de Froid. C’est épeurant, il y a du concret dans la pièce. À Québec, par exemple, il y a eu la tête de porc à une mosquée.»

Dayne Simard, acteur et producteur, ajoute qu’il y a des phrases dites dans la pièce qui ne sont pas si loin de ce qu’on entend dans certaines radios de Québec. «Ça pourrait être des phrases dites par mon cousin dans un souper», poursuit Olivier Lépine. David Bouchard, également acteur et producteur de la pièce, renchérit: «Ce sont des phrases ordinaires, mais pas du tout non plus. On se dit que ça ne se peut pas, tout ça, mais pourtant… Il y a de plus en plus de gens décomplexés.»

Lars Norén s’est inspiré d’un fait divers arrivé dans son coin de la Scandinavie. Quatre jeunes avaient tué un Suédois d’origine tchèque, sans raison particulière, sauf une inexplicable haine mal dirigée.

Même s’ils commettent l’irréparable, les trois jeunes ne sont pas que des monstres, et c’est là que réside l’intérêt de cette pièce.

«Le show demeure un fait divers en quelque sorte, poursuit Olivier Lépine. On n’apporte pas d’explications sur leurs gestes.» Néanmoins, on s’immisce dans l’intimité de cette brutalité. Pendant 75 minutes, on devient témoin de cette violence, de cette haine, laissant ici et là quelques pistes de réflexion sur ce qui peut pousser des jeunes à aller jusque-là.

David Bouchard, Olivier Lépine et Dayne Simard ne souhaitent pas pour autant que leur pièce ne soit qu’un coup de poing. Le contexte théâtral transforme ce violent fait divers en un regard sur un discours haineux, présent partout en Occident, et qui, parfois, se fait élire par le peuple.

Un mal nuancé

Trois jeunes, donc, qui s’ennuient, à «l’aube de leur politisation», précise Dayne Simard. Ils sont pauvres et rejetés par le système. Le plus vieux endoctrine les autres. Selon eux, l’injustice qu’ils subissent puise sa source dans l’immigration.

Même s’ils commettent l’irréparable, les trois jeunes ne sont pas que des monstres, et c’est là que réside l’intérêt de cette pièce, croient nos trois amis. En regardant les trois enragés discuter entre eux, on peut comprendre ce qui les amène à ces réflexions, à poser ce geste improvisé lors d’une journée de fin d’année scolaire qui devait pourtant se dérouler comme toutes les autres journées similaires.

Photo : La brute qui pleure
Photo : La brute qui pleure

Plus encore, le déroulement fait croire à cet espoir de réconciliation entre la victime, un Coréen adopté par des Suédois alors qu’il était bébé, et ses bourreaux. On se dit qu’il va peut-être s’en sortir.

Froid est un peu un pamphlet antimanichéisme. Les tortionnaires ne sont pas des terroristes qui souhaitent nécessairement faire le mal. «Ce ne sont pas seulement des abrutis, on développe une sympathie pour eux, même si on ne partage pas leur point de vue», raconte David Bouchard. Plus encore, la victime, malgré sa position, n’est pas pour autant plus vertueuse que les trois autres jeunes. «On pourrait croire qu’avec sa position de privilégiée, elle soit plus ouverte d’esprit, mais pas du tout, la victime n’est pas plus parfaite», ajoute Dayne Simard.

Un théâtre nécessaire

À propos de la violence du sujet et de la pièce, Olivier Lépine nuance le tout. «Il y a un danger que ça soit juste une claque, juste violent, mais c’est très humain.» C’est une pièce dense, où les acteurs ne quittent jamais la scène, mais qui propose beaucoup de contenu sans tomber dans les longs dialogues. «Ce n’est pas moralisateur», nuance Dayne Simard. «C’est un théâtre d’acteurs», précise David Bouchard.

Néanmoins, les trois créateurs croient en l’importance d’un théâtre coup-de-poing, un style qui reprend de plus en plus ses assises depuis quelques années. «Il faut se servir de notre art, de notre tribune, lance David Bouchard. Le théâtre est le reflet de la société. Si le monde devient alarmant, le théâtre va être alarmant.»

«C’est intéressant l’exercice coup-de-poing et c’est important qu’il y en ait», réfléchit Olivier Lépine, qui avoue aimer ce genre, lui qui avait présenté l’an dernier une pièce inspirée par le printemps érable, Architecture du printemps. «Faire ce genre me déculpabilise peut-être d’avoir un emploi qui ne sert à rien. Je ne soigne pas des gens malades, je n’enseigne pas à des enfants, mais c’est cool de faire réfléchir le monde.»

David Bouchard ajoute qu’il est important de s’intéresser aux marginaux, aux crashs, aux clashs et autres clivages sociaux. «Il faut savoir faire face à ça, aller au-delà des “voyons donc” et de nos jugements.»

Si la pièce parle d’une division sociale, Olivier Lépine note que la pièce fait l’effet inverse. «Plus on travaille sur la pièce, plus on dialogue et plus on se rencontre, entre nous. On se réunit plutôt qu’on se divise.»

Nul doute que David, Dayne et Olivier souhaitent que Froid ait le même effet sur les spectateurs.

Froid
Du 14 février au 4 mars 2017

à Premier Acte