«J’ai appelé ça pastiche, collage et fabulations parce que je me suis permis absolument toutes les libertés pour faire comprendre un peu la manière proustienne de voir la vie et les êtres», raconte la créatrice qui s’affranchit du réalisme afin de laisser libre cours à son imaginaire et à celui de l’auteur. Stimulée par les écrits de Proust autant que la littérature qui l’entoure, écrite par différents psychanalystes, scientifiques et philosophes s’étant intéressés à ses œuvres, elle est surtout éblouie par la démarche artistique de l’auteur derrière À la recherche du temps perdu. «Je trouve que sa vie a été son propre processus de création et d’écriture. Ça m’a complètement fascinée et c’est l’angle que j’ai choisi d’adopter pour Dans la tête de Proust. C’est surtout que je mets en scène Marcel Proust qui va, en se couchant pendant huit ans, faire apparaître l’œuvre du Temps perdu.»
Malade et reclus dans une petite chambre à Paris, Marcel Proust s’est dédié entièrement à l’écriture complète de ce roman colossal jusqu’en 1922, année qui marque son décès. Dans la tête de Proust n’est pas pour autant une adaptation théâtrale des sept tomes du Temps perdu. Sylvie Moreau a imaginé une guide, très moderne, qui invite le spectateur à venir à la rencontre des personnages les plus marquants de l’œuvre littéraire et à visiter l’imaginaire de l’auteur, «comme si on était dans un musée, dans le musée de la tête de Proust». Avec Réal Bossé et Jean Asselin, qui assurent avec elle la codirection artistique de la compagnie Omnibus, axée sur le théâtre corporel, elle s’est entourée d’Isabelle Brouillette, Pascal Contamine et Nathalie Claude pour incarner plusieurs personnages du Temps perdu. «J’ai décidé que les corps seraient un texte autant que la littérature. Je trouvais que le travail avec Omnibus, une compagnie avec laquelle je travaille depuis presque 30 ans, était le véhicule absolument parfait pour transposer le travail d’une œuvre littéraire. Non pas en assommant les gens avec des textes, mais en montrant le processus de création et surtout les personnages qui s’incarnent dans des corps, et que ces corps peuvent nous parler tout autant que 3000 pages de texte.»
Travailler avec autant de matériel ne semble pas avoir intimidé la créatrice, qui y a plutôt trouvé une façon de créer sans contrainte, à la hauteur de ses désirs. «J’ai envie de parler de beauté, de notre monde à partir d’un autre qui n’existe pas, qui nous permet beaucoup plus d’accepter nos défauts, nos qualités, nos horreurs, quoi. C’est sûr que le mime corporel d’Omnibus correspond exactement à cette philosophie-là que j’ai toujours eue par rapport à mon art, qui est de trouver beaucoup plus intéressant de transposer, de poétiser la réalité que de simplement la mettre en scène.» Le Temps perdu est aussi un legs historique important, une véritable mine d’or de références et de réflexions sur son époque. «C’est vraiment une œuvre qui est le point de convergence de son siècle. Elle rend compte de la décadence du monde de l’aristocratie au profit du monde de la bourgeoisie, mais c’est surtout une description capotée et microscopique de l’intérieur humain. Alors, que les enveloppes corporelles soient celles d’aristocrates ou de bourgeois, on a les mêmes intérieurs, les mêmes âmes. C’est ça le génie d’observation de Proust.»
Grâce aux personnages «extrêmement théâtraux, très décrits, avec un aspect très caricatural», c’est tout un nouveau monde théâtral qu’offriront Sylvie Moreau et Omnibus, portés par une envie de célébrer la littérature à travers le mouvement, le corps et un imaginaire décomplexé, festif, qui s’inspire de la démarche artistique d’un homme hors du commun. «La création est avant tout un acte de liberté face à son propre imaginaire et, évidemment, c’est une métaphore très forte, que quelqu’un qui est limité physiquement par sa santé ait décidé de faire vivre une œuvre aussi puissante et complexe.»
Dans la tête de Proust (pastiche, collage et fabulations)
au Théâtre Espace Libre
du 21 février au 18 mars 2017