En 1986 sortait au cinéma le film événement de Denys Arcand, qui plaçait la carrière du réalisateur au niveau international. Trente ans plus tard, l’adapter sur la scène de l’Espace Go ne manque pas d’audace, ni de pertinence ; après tout, ne sommes-nous pas au paroxysme de ce lent déclin de notre société occidentale (comme depuis toujours)?
Il n’y avait pas tant besoin d’actualiser ce Déclin d’Arcand ou de le changer pour le remettre au goût du jour, et les auteurs, Patrice Dubois et Alain Farah, y ont touché juste ce qu’il fallait pour ne pas le dénaturer. Si le 11-Septembre a remplacé Mai-68, si on a maintenant des cellulaires et que des allusions à Trump se glissent dans les conversations, les questionnements existentiels sont toujours les mêmes.
Le sexe et l’amour –ou son absence – restent au centre des préoccupations. Les couples se font et se défont toujours aussi facilement. On rejette le carcan de la cellule familiale tout en recherchant son cocon rassurant. Ces trente années qui séparent le film de cette pièce n’auraient pu finalement être qu’une ; pour Patrice Dubois, metteur en scène et directeur artistique de la compagnie PÀP, « la charge énoncée par le scénario original contient une fureur sourde toujours actuelle et éminemment théâtrale ».
La scénographie est très sobre mais forte, et travaille notamment autour de fumée et d’éclairages en clair-obscur. La pièce se joue à coulisses découvertes (cuisine du chalet côté jardin, vestiaires montréalais côté cour) autour d’une scène carrée. L’ensemble est propre, léché, en tons de noir, blanc et gris, moderne et froid ; au milieu, ce sont les mots, les cris et les altercations humaines qui sont rouges et chaudes.
Signées par l’écrivain et professeur Alain Farah, les répliquent fusent tandis que s’alternent les tableaux hommes / femmes avec un beau rythme. Si les deux sexes n’échangent pas de la même façon, ils parlent tout en tout cas des mêmes choses, toujours. Puis les deux groupes se rencontrent enfin au chalet, lors d’un repas dont la scénographie a des allures de Cène.
Les personnages s’entrechoquent dans leur vision des choses et dans leurs goûts (Claude l’homo versus les hétéros), mais on aurait aimé entendre plus le jeune Xavier et sa vision naïve, en tout cas plus candide de l’amour, se heurter à celles des autres. Par exemple à la vision désabusée de Bruno, joliment résumée dans cette réplique : « Tout ce qui me reste c’est le sexe, ou l’amour. On fait jamais vraiment la différence. Au fond, je sais pas ce qui me reste. C’est pour ça que le vice vient avec l’âge ».
Le déclin s’incarne donc dans ces neuf personnages qui se retrouvent au chalet. En fait, quatre femmes et quatre hommes, plus Marco, dont l’intervention enragée et désespérée vient secouer la fin de semaine. Si cette tirade est bien portée (magnifique Alexandre Goyette), elle arrive subitement, comme un cheveu sur la soupe, et manque un peu l’effet explosif qu’elle aurait pu avoir. Mais dans tout ça, Marco reste le seul personnage authentique, le seul qui ne cherche pas à plaire et ne joue pas de faux-semblants.
Dans ce distrayant Woody Allen à la québécoise, soutenue par une solide distribution (Sandrine Bisson, Dany Boudreault, Marilyn Castonguay, Patrice Dubois, Éveline Gélinas, Simon Lacroix, Bruno Marcil, Marie-Hélène Thibault, Alexandre Goyette), on attendait cependant un peu plus de mordant peut-être… La première scène est pourtant prometteuse : Bruno qui rencontre au salon de massage une jeune étudiante, qui lui parle de génocides tandis qu’il jouit sous ses mains.
Mais la pièce transmet bien le sentiment fort qui caractérise le film : un cynisme marqué, qui même si on rit souvent nous laisse partir un peu groggy, avec un sentiment de malaise. Car le contexte est ironique : ces personnages du Déclin, ces intellos qui se cherchent, ce sont les mêmes que ceux qui ont écrit la pièce, que ceux qui la jouent, que ceux qui sont venus la voir, que vous qui en lisez la critique. Cette pièce, c’est nous face à un miroir. Forcément, ça met mal à l’aise… Et ça, en 1986 ou en 2017, c’est toujours pertinent.
Le Déclin de l’empire américain
jusqu’au 2 avril à L’Espace Go