Don Juan revient de la guerre : Crier dans le silence
Il semble que les bonnes raisons ne manquaient pas pour mettre en scène Don Juan revient de la guerre d’Ödön von Horváth. Sa relecture du mythique Don Juan campé en plein cœur d’une Allemagne au lendemain de l’armistice de 1918 fait brillamment écho à notre époque. Que ce soit par un climat politique déstabilisé et déstabilisant ou encore par la langoureuse superficialité d’un Don Juan encore plus tombeur dans une ville en manque d’homme, le texte d’Horváth résonne pleinement. On peut donc comprendre La Veillée et le metteur en scène Florent Siaud de nous proposer cette pièce résolument contemporaine.
Interprété en retenue par Maxime Gaudette, ce Don Juan revient vivant, mais éclopé d’une guerre qui lui aura laissé comme souvenir une grippe espagnole. Ce charmeur au cœur de pierre se voit fragilisé par la maladie, alors qu’il erre dans une ville qu’il ne semble pas reconnaître, laissant chacune des femmes qu’il rencontre en pâmoison. Il se définit très bien lui-même: «Je ne suis pas malade, je me sens juste malheureux.» Mais il n’est plus l’homme qu’il a jadis été, bien qu’il occupe son lit d’une multitude de courtisanes. Il n’en a que pour une seule, sa fiancée qu’il a trahie avant de partir au front, et qu’il espère désespérément retrouver.
Une constellation de femmes tangueront à ses côtés, plus d’une trentaine, interprétées tour à tour par Evelyne de la Chenelière, Kim Despatis, Marie-France Lambert, Danielle Proulx, Évelyne Rompré et Mylène St-Sauveur; elles seront veuves, danseuses, prostituées, tenancières de bar ou encore rentières, et toutes tomberont sous son charme. Dans chacune d’entre elles, il tentera de retrouver un peu de celle qui cherche, mais il s’agit là d’une quête vouée à l’échec. Siaud joue avec cette multiplicité d’actrices comme un chœur grec, marquant le coup des révélations d’un Don Juan tourmenté arrivant difficilement à ses fins.
L’espace scénique de Romain Fabre, sobre et multifonctionnel, se découpe en différents paliers noirs chapeautés d’un mur blanc courbé servant aux projections vidéo de David Ricard qui sont accompagnées d’une inquiétante ambiance sonore signée Julien Éclancher. L’espace permet au metteur en scène de jouer sur les entrées et les sorties, créant différents lieux rapidement et des espaces fixes aisément. La scène est d’abord masquée par un rideau de tulle noir sur lequel les projections se retrouvent doublées – tant sur le rideau que sur l’écran derrière ce dernier –, et trois fois plutôt qu’une on replacera ce rideau avant de le retirer lentement pour marquer des divisions claires dans le temps et l’espace.
Cette proposition n’est pas sans rappeler deux pièces ayant été mises en scène à Montréal cette année: on se retrouve quelque part entre Une femme à Berlin de Marta Hillers (Brigitte Haentjens, Espace Go) et Peer Gynt d’Henrik Ibsen (Olivier Morin, Quat’Sous). Un personnage candide et un peu insolent en plein cœur d’une Allemagne en ruine peuplée de femmes meurtries par la guerre, qui ne comprendra que trop tard les conséquences de sa suffisance.
Siaud a demandé à ses acteurs de jouer de façon désarticulée pour bien marquer le passage de la guerre sur les corps de ceux qui restent. Chaque fois qu’on se retrouve assis, les paumes sont ouvertes au public pour démontrer le poids de la désolation sur leurs épaules, alors qu’à quelques reprises, on ouvre grand la bouche sans avertissement, comme si on voulait crier dans le silence. Une proposition qui tergiverse entre la tragédie grecque et le drame plus classique, qu’on a désirée maquillée de projections qui ne sont pas toujours pertinentes. Le tout fonctionne sans nous emballer, le texte demeure brillant sans briller.
Au Théâtre Prospero jusqu’au 25 mars
Don Juan revient de la guerre
Production: Le groupe de la Veillée
Texte: Ödön von Horváth
Traduction: Hélène Mauler, René Zahnd
Mise en scène: Florent Siaud
Avec: Evelyne de la Chenelière, Kim Despatis, Maxim Gaudette, Marie-France Lambert, Danielle Proulx, Évelyne Rompré et Mylène St-Sauveur