Scène

La cantate intérieure : Visites fantômes

Dorothée Berryman interprète une partition spectrale, fantasmagorique dans cette pièce de Sébastien Harrisson qui flirte avec l’au-delà. 

Le mandat n’a rien de banal, pas même pour une actrice de sa trempe. En reprenant les traits de Claire Bonaparte, Dorothée Berryman incarne un fantôme, la voix et même le corps d’une dame qui hante l’immeuble servant d’atelier à une artiste visuelle. C’est précisément cet aspect « mystique », cette idée d’un dialogue entre les vivants et les morts, qui intéressent la comédienne et l’ont poussé à collaborer à ce spectacle d’abord étrenné au Quat’Sous en 2015. « La pièce traite de cette communication à travers le temps et du fait qu’on se croit seuls alors qu’on ne l’est pas. On est en communion avec tous les êtres de la Terre. Ce n’est pas une idée nouvelle, mais c’est un peu le discours de mon personnage. »

Comble de l’irréel : Mme Bonaparte en est en fait la mère du livreur UPS (Roger La Rue) qui visite couramment le bâtiment où Zoé (Marie Bernier) crée une installation in situ. Une génitrice indigne qui a abandonné son fils et qui dicte un monologue à la plasticienne. Des mots, des phrases que l’artiste intègre à son œuvre cinétique.

Mise en abîme

Sébastien Harrisson réfléchit aussi à l’impact de l’art dans la vie des gens, au rôle des créateurs dans la société. La cantate intérieure, c’est surtout un face à face improbable entre un facteur terre-à-terre et une l’artiste tentée d’intellectualiser tout ce qu’elle touche. « Les deux vont être transformés par cette rencontre, explique la metteure en scène Alice Ronfard. Elle parce que, tout à coup, quelqu’un vient lui parler de ce qu’elle fait d’une façon claire et, lui, parce qu’il va avoir compris quelque chose. » Indirectement, le texte se penche aussi sur la question de la proverbiale accessibilité à l’art, l’intérêt que le grand public (appellation fétiche des médias de masse) peut porter au travail des créateurs.

Dorothée Berryman dans le rôle de Claire Bonaparte (Crédit: Marlène Gélineau) Payette
Dorothée Berryman dans le rôle de Claire Bonaparte (Crédit: Marlène Gélineau Payette)

Dorothée Berryman : « Il y a une discussion là-dessus [dans les dialogues]. L’art, est-ce qu’on fait ça pour soi-même ou est-ce qu’on fait ça pour toucher les autres, communiquer avec les autres? »

Le décor du spectacle est justement constitué d’une véritable installation résultant d’une collaboration entre le scénographe Gabriel Tsampalieros et le vidéaste Éric Gagnon sous la supervision de Mme Ronfard. « On a décidé de faire en sorte que cet objet devenait la troisième ou quatrième personne du spectacle. En fait, c’est une boîte qui tourne sur elle-même avec des projections à l’intérieur. »

Des vidéos comme autant d’esquisses sur les bois en bois, oui, mais aussi une comédienne (Dorothée Berryman, qui d’autre?) magnifiée des éclairages illusionnistes. « La scène qu’elle fait est vraiment traitée de façon différente. On a vraiment le sentiment que c’est un rêve ou que c’est vraiment [le personnage de Roger La Rue] qui la voit en trois dimensions. »

Une présence qui hante à condition de se laisser prendre au jeu, d’abandonner son scepticisme à la maison et de croire aux esprits le temps d’un spectacle.

Du 14 au 18 mars, Théâtre Aux Écuries (Montréal)
Du 28 mars au 1er avril, Théâtre de la Bordée (Québec)

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