Scène

Daina Ashbee : Quand la simplicité devient complexe

Daina Ashbee parle doucement en retraçant son parcours artistique qui lui a fait quitter l’île de Vancouver où elle a grandi et qui l’a menée jusqu’à Montréal, il y a presque quatre ans. Si on ne connaissait pas sa signature chorégraphique, on aurait beaucoup de mal à croire que cette jeune créatrice, aussi délicate et calme soit-elle, peut créer des pièces aussi violentes. C’est sa façon de percuter et d’aborder la sexualité, le corps de la femme, la cruauté qu’on lui inflige, sa vulnérabilité et sa force qui lui a valu une reconnaissance quasi immédiate sur la scène contemporaine.

Lauréate du Prix de la danse Montréal 2016, catégorie Découverte, pour Unrelated, son premier spectacle, elle a également obtenu le Prix du CALQ pour la meilleure œuvre chorégraphique de la saison 2015-2016 avec When the ice melts, will we drink the water?. Tout porte à croire que l’artiste, qui se dirigeait vers une carrière d’interprète, a trouvé sa voie. «Je sais que les thèmes traités dans mes pièces sont sombres, mais je pense que ce sont des choses qu’il faut que j’exprime. Depuis que je suis chorégraphe, je suis beaucoup plus saine comme personne. J’ai beaucoup moins de violence envers moi-même.»

Daina Ashbee se base sur ses expériences pour créer, sur la façon dont elle se percevait et dont les autres l’ont perçue. Elle aime jouer avec le corps de la femme en tant qu’objet, ce qu’elle fait notamment en utilisant la répétition de mouvements pour susciter des émotions et influencer la perception du public. «En répétant un mouvement, c’est non seulement la gestuelle qui se transforme, mais aussi notre regard.» Elle désire ainsi toucher celui qui observe pour que les tableaux résonnent avec le vécu individuel et collectif: «Quand j’étais jeune, je voulais sauver des animaux et aider des personnes.» C’est en évoquant des images fortes que la chorégraphe cherche «à faire du bien» de façon inversée.

Photo : Alain Dahan
Photo : Alain Dahan

Si la critique sociale n’est pas une volonté exprimée d’emblée par la créatrice, ses pièces n’en sont pas moins politiques. «Chaque fois que je fais des entrevues, on parle toujours de mes origines autochtones.» Bien qu’elle réussisse à évoquer certains souvenirs d’enfance attachés à ses racines hollandaises, ce sont les drames qui façonnent l’histoire des peuples des Premières Nations, l’actualité des dernières années et, plus intimement, certains événements qu’elle a vécus personnellement qui ont été au cœur de ses motivations pour sa pièce Unrelated. Elle s’est par la suite intéressée au cycle menstruel pour aborder le concept de transformation avec Pour. Elle a également exploré l’endurance et la survie avec When the ice melts, will we drink the water?, pièce qui sera présentée à l’Agora de la danse: «C’est très lent. Il y a beaucoup de répétitions et c’est dur.» L’œuvre a été conceptualisée comme une installation ou une sculpture vivante: «Je souhaitais travailler avec le corps de la femme de façon abstraite pour que l’essence de la pièce – l’endurance – puisse habiter chaque spectateur différemment.» Une abstraction qui permet à l’idée de départ, soit la sexualité de la femme, d’évoluer pour traiter de thématiques universelles comme les enjeux climatiques et leurs effets sur les communautés. C’est ce qui justifie en fait le titre du spectacle. Le corps qui servira ces propos, c’est celui d’Esther Gaudette, dont la performance en solo sera accompagnée du musicien Jean-François Blouin.

Pour créer, Daina Ashbee fait beaucoup de méditation, puis échange ses idées et ses inspirations avec les interprètes qui participent au processus. Des interprètes qu’elle choisit d’abord pour leur énergie et qui influencent inévitablement ses pièces. La chorégraphe bénéficiera d’une résidence de trois ans à l’Agora de la danse, où elle compte explorer à nouveau le corps, celui de l’homme. «J’aimerais traiter de ma relation avec mon père et mon frère ou de mes relations sexuelles avec les hommes. Je ne veux pas parler de genres. La base est simple, mais je pense que ça va devenir complexe, parce que j’ai quand même des relations complexes avec les hommes.»

When the ice melts, will we drink the water?
Agora de la danse – Édifice Wilder
29 au 31 mars – 19h
1er avril – 16h