Scène

Pierre Lefebvre : le théâtre qui repense la classe moyenne

Pierre Lefebvre est le rédacteur en chef de la revue Liberté, il est aussi auteur d’un livre et de plusieurs pièces de théâtre. C’est un homme engagé, facile d’approche, dont la pensée se répercute de toute évidence dans son œuvre, mais aussi, et de manière tout autant intrinsèque, dans son parcours.

Dans Confessions d’un cassé, son premier livre publié en 2015 dans lequel il nous parle de son rapport à l’argent, il explique que: «L’idée générale voulant que le travail soit un vecteur de développement social, tout comme d’épanouissement individuel, me semble […] grotesque. Je me demande toujours qui peut sérieusement y accorder un peu de foi.»

C’est cette réflexion qui explique en quelque sorte son propre parcours, un parcours qui attend aussi ceux qui vivent en marge de cette idée — presque élevée au seuil de religion —, que le bonheur se trouve dans la consommation et qu’on accède à la consommation par le travail. Si chez lui ce cheminement semble pour la plupart relever du domaine du choix délibéré, reste que le sort réservé à ceux qui refusent, ou sont incapable, de prendre part au système est traité dans le livre avec un humour franc et une logique implacable.

Sa nouvelle pièce, EXTRAMOYEN! Splendeur et misère de la classe moyenne, qu’il a coécrite avec Alexis Martin, se transforme en suite logique de Confession d’un cassé. Espèce d’hybride entre théâtre et documentaire, où, à l’aide d’interventions de sociologues et en suivant une famille de la classe moyenne qui représente parfaitement cette idée que l’on se fait d’elle, les auteurs questionnent ce que cette classe révèle sur la société dans laquelle on vit.

EXTRAMOYEN discute de cette omniprésence de la classe moyenne dans le discours politique ambiant. À ce sujet, l’auteur présente un parallèle intéressant avec les valeurs québécoises dont on parle tant, et avec cette obsession à les défendre. «Souvent, plus on parle publiquement d’une chose, moins elle existe, croit-il. Aujourd’hui, au fond, tout ce qui nous différencie du reste de l’Amérique, c’est la langue française et une certaine sensibilité pour le filet social, qui nous vient de notre héritage catholique. Toutefois, à partir du moment où tous les Québécois ont des frigidaires pis des chars comme le reste de l’Amérique et du Canada, cette distinction n’est plus assez solide pour parler d’elle-même. C’est la même logique pour la classe moyenne, elle est en train de s’effriter et c’est pour ça qu’on en parle autant.»

Pour Pierre Lefebvre, il est intéressant d’étudier la classe moyenne parce que «c’est la seule classe qu’on nomme comme classe et quand on parle de société de classes, on est tout de suite dans une logique politique». Paradoxalement, cette logique politique semble échapper à ceux-là mêmes qui font partie de cette catégorie: «un des paradoxes de la classe moyenne contemporaine c’est que la classe moyenne est dépolitisée alors qu’elle est le résultat du politique.» En effet, alors qu’elle existe grâce à une série de luttes sociales qui ont mené à son confort, «la classe moyenne a oublié qu’elle est redevable». 

C’est ce désengagement qui, pour l’auteur, sert à maintenir le statu quo. «La dépolitisation du discours public, c’est cette idée que le monde n’est pas quelque chose qu’on peut transformer, mais quelque chose auquel il faut s’adapter.» L’idée d’un idéal commun s’efface donc peu à peu de l’espace public opposé qu’il est à cette logique, beaucoup plus facile à concevoir qu’une récompense individuelle résulte d’un travail individuel. «Quand on envisage l’idée d’un bonheur collectif, d’une structure qui bénéficierait tout le monde, on se rend compte que c’est comme si notre muscle à penser ces choses-là était atrophié.» 

S’il est facile de qualifier EXTRAMOYEN de pièce engagée, pour l’auteur il s’agit plutôt de concrétiser des idées — comme la récession ou l’austérité — qui semblent vagues, mais qui ont des conséquences réelles, dans le but d’encourager le dialogue.   «Je pense que le théâtre, et l’art en général, n’a pas de message à envoyer. L’art est plutôt là pour poser des questions, des questions qu’on ne pose pas à l’Assemblée nationale. Ce que j’aimerais c’est que le spectacle puisse servir de porte d’entrée à des réflexions éthiques politiques et esthétiques pour les gens qui assistent au spectacle. L’art et la politique sont des façons de se représenter le monde. Ça te permet en somme de te dire que le monde pourrait être autrement.» 

Dans l’ambiance politique actuelle, une telle réflexion n’a jamais semblé si nécessaire.

La pièce sera présentée du 4 au 29 avril à l’Espace Libre | Le livre Confession d’un cassé est publié aux éditions du Boréal.