Nuits frauduleuses : Poésie 2.0
Avec Nuits frauduleuses, Alix Dufresne propose un spectacle qui mêle poésie, danse, théâtre et performance. Un coup de neuf pour le genre poétique…
Peut-on faire trender un haiku sur Twitter? Ou faire de la poésie avec un emoji? C’est à ces questions et à plein d’autres que tente de répondre Alix Dufresne dans sa dernière mise en scène, Nuits frauduleuses. Si le spectacle tourne autour du langage poétique, ce n’était pas à l’origine son genre de prédilection: «Je pensais que c’était dur d’intégrer le corps là-dedans; à la base, je ne suis pas intéressée par la poésie, que je ne croyais pas capable de me toucher… Mais dans notre époque frénétique, on ne prend pas le temps que demande la poésie.»
Elle change d’avis en découvrant une nouvelle poésie, celle des jeunes auteurs québécois de la génération Y. Pour Nuits frauduleuses, Alix choisit les textes de 12 d’entre eux, âgés de 21 à 35 ans. «C’est un échantillon d’une génération, mais une génération qu’il faut représenter; il fallait donc que ce soit assez large», explique la metteure en scène. Des poètes qui interrogent leur place dans le monde, dont l’écriture est marquée par l’arrivée de l’ordinateur, et qui se servent de la technologie dans leur création.
«Je veux faire entendre la parole des poètes d’une génération dont la pensée s’est développée en même temps que l’arrivée d’internet dans leur quotidien, une génération dont l’écriture est influencée par la logique des moteurs de recherche, la cybernétique et le microformat», indique Alix. Parmi les auteurs sélectionnés, on retrouve notamment Steve Savage et son texte Nathalie – un roman qu’il a construit entièrement avec des phrases issues de recherches sur internet et commençant toutes par «Nathalie est…»
Il y a aussi Cavalcade en cyclorama, une poésie absurde où Marc-Antoine K. Phaneuf s’inspire des moteurs de recherche pour écrire, en associations d’idées, un texte de Daphné B. qui google ses maladies, ou encore les mots de Mathieu Arsenault – qu’on a pu découvrir fin mars sur la scène de La Chapelle –, qui décrit l’incongruité de la société dans une longue phrase sans fin ni queue ni tête. S’ajoutent à ces auteurs Marjolaine Beauchamp, Laurie Bédard, Alexandre Dostie, Benoit Jutras, Stéphane Surprenant, Daniel Leblanc-Poirier, Samuel Mercier et Maude Veilleux.
Énoncer des problèmes de manière ludique
«La poésie de la génération Y m’intéresse parce qu’elle en est une du présent. Elle est frénétique. Ludique. Profane. Voyeuse. Magique. Ultime. Efficace. Brutale. Sexy. Cynique. Sceptique. Engagée. Exhibitionniste. À l’image de notre époque. En phase avec elle, à 100%», énumère Alix. La jeune artiste, diplômée du programme de mise en scène de l’École nationale de théâtre du Canada, a donc décidé de réfléchir sur cette poésie dans le cadre de sa résidence de création au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui.
Dans son travail, Alix Dufresne s’appuie rarement sur des textes de théâtre, et elle continue ici d’explorer de nouvelles proses. Mais elle reste toujours à la limite de la danse et du théâtre; «Je suis une metteuse en scène qui travaille sur le corps», résume l’artiste. Un style qu’on retrouve dans ces Nuits frauduleuses qui flirtent avec la performance, et dont elle a confié l’interprétation à Philippe Boutin, Maxim Paré Fortin, Marilyn Perreault et Jérémie Francœur.
«On est une génération qui refuse de vivre comme ses parents. On refuse de grandir, et nos bureaux ressemblent de plus en plus à des garderies, décrit Alix. On a donc créé un espace qui ressemble à un gymnase d’adultes, en partant de l’idée des start-ups, où l’exercice physique et le ludique sont de plus en plus présents. Là-dedans, on va énoncer des problèmes de manière très ludique; ça sera une façon intéressante de voir et d’entendre de la poésie. Il y a quelque chose d’archi-contemporain qui peut toucher les gens ne connaissant pas bien la poésie…»
Si la metteure en scène (qui écrit et joue aussi) considère parfois la poésie comme «quelque chose d’élitiste», elle a su la démocratiser en la croisant avec internet, le lieu où «on peut partir de la guerre en Syrie et finir sur des vidéos de chatons». Comme une création en cache souvent une autre, Alix Dufresne travaille en même temps comme chorégraphe et metteure en scène dans ses résidences d’artiste à LA SERRE arts vivants et au Phénix de Valenciennes (France). Difficile, trois résidences en même temps? «La créativité appelle la créativité, et les productions se nourrissent mutuellement. Plus t’en fais, plus t’as envie d’en faire…»
Nuits frauduleuses
Jusqu’au 13 mai
Salle Jean-Claude-Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui