Glengarry Glen Ross : capitalisme au féminin
Scène

Glengarry Glen Ross : capitalisme au féminin

Brigitte Poupart présente à L’Usine C une adaptation du texte de David Mamet, qui met en scène des vendeurs-requins dans une agence immobilière… 

Closer. Closer. Closer. C’est le mot d’ordre qu’entendent à répétition les employés de l’entreprise Glengarry Glen Ross, qui vend de l’immobilier à des « prospects », ces acheteurs-cibles abusés par les talents de manipulation des agents. Pour ne pas se faire mettre à la porte, car c’est la crise, il faut s’assurer de se retrouver sur le tableau des meilleurs vendeurs…

Cette course à la productivité entraîne de fait une compétition malsaine entre les employés, créant un milieu de requins, entre mensonges et corruption. Dans ce climat de tensions et de stress permanent, le bureau de l’agence est cambriolé pendant la nuit: les listes de « prospects » sont notamment volées.

Ce texte de l’Américain David Mamet a valu à son auteur un prix Pulitzer pour la précision et l’efficacité avec lesquelles il décrit cet univers professionnel, qui représente dans son ensemble la société ultralibérale et capitaliste de la course au profit dans laquelle nous vivons. Car si le texte date de 1984, il est encore d’une actualité brûlante aujourd’hui.

C’est notamment pour cette raison que la metteure en scène Brigitte Poupart a décidé il y a quatre ans, avec sa compagnie Transthéâtre, de faire traduire et d’adapter Glengarry Glen Ross en transposant au féminin tous les personnages. Un choix intéressant, alors que la gent féminine est aujourd’hui majoritaire dans le monde de l’immobilier.

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Le retour de Micheline Lanctôt

Ces sept femmes nous évoquent 8 Femmes, le film d’Ozon, un huis-clos intergénérationnel montrant des personnages féminins dans toute l’ampleur de leurs méchanceté, manipulation, mensonges et secrets. On retrouve dans la pièce les personnages en profondeur, déclinés sur plusieurs âges et dans un univers clos qui en devient étouffant.

Car si deux scènes se passent dans un bar, l’essentiel de la pièce se joue dans ce décor de bureau un peu glauque, entre moquette grise, fauteuils épars et stores baissés qui ne laissent filtrer que quelques faisceaux de phares de voitures. Dans cette atmosphère, on ressent d’autant plus l’ambiance oppressante et le stress des vendeuses.

La belle distribution compte notamment Micheline Lanctôt, dans son retour sur scène 24 ans après son dernier rôle. Elle campe Shelley, une ancienne « vendeuse machine » en phase creuse qui ira au bout de ses limites pour tenter de rester dans la game.

À ses côtés, Louise Bombardier et son humour en vendeuse naïve, Isabelle Miquelon tout en dents et en rage, Guillermina Kerwin en impitoyable agente cupide, Marilyn Castonguay dans un personnage d’assistante faussement fragile, et les outsiders, Léa Simard campant une acheteuse abusée et Geneviève Laroche une policière.

Réalisme de cinéma

Toutes aussi solides les unes que les autres, elles se lancent des piques, s’invectivent et se supplient. Les rapports de force entre les vendeuses varient au fil de la pièce, occasionnant de nombreuses joutes verbales – avec tant d’énergie, de haine et de calcul qu’elles en évoqueraient presque le débat d’entre-deux tours de l’élection présidentielle chez nos voisins français. Petit bémol, la traduction a truffé le texte d’insultes et de jurons, peut-être plus qu’il n’était nécessaire…

Pour donner un côté plus cinématographique à son adaptation, Brigitte Poupart a misé sur un jeu très réaliste chez ses comédiennes, agrémentant la pièce de bruitage et de son surround. On est ainsi au plus près des répliques et des émotions, encore plus au cœur du bureau.

Le jeu réaliste rend la pièce encore plus proche de la réalité – absurde – de ces agences où la vie n’a de sens que dans la concurrence, dans cette course à l’argent et au profit. David Mamet avait dédié sa pièce à Harold Pinter, dramaturge au goût prononcé pour les mises en scène de situations absurdes et menaçantes… Une dédicace très à propos.

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Glengarry Glen Ross
jusqu’au 13 mai à L’Usine C