Sophie Cadieux: la fureur de jouer
Entre une série télé et de la mise en scène, la comédienne replonge dans les mots de Nelly Arcan pour des festivals de théâtre. Portrait d’une infatigable touche-à-tout.
C’est Vanessa de Watatatow, Clara de Rumeur, Karine dans Annie et ses hommes, ou encore Sylvie dans Les Lavigueur… Sans compter tous ses rôles au théâtre. Depuis sa sortie du Conservatoire d’art dramatique de Montréal en 2001, Sophie Cadieux est très présente sur l’écran comme sur les planches. Dans son agenda qui ne désemplit pas figurent notamment le Festival TransAmériques (FTA) à Montréal et le Carrefour international de théâtre à Québec, qui donnent leur coup d’envoi le 25 mai. Les deux festivals ont programmé une reprise de La fureur de ce que je pense, le spectacle de Marie Brassard inspiré des textes de Nelly Arcan. Un spectacle monumental, une production lourde qui a créé une onde de choc lors de sa première présentation en 2013.
La pièce, dans laquelle Sophie Cadieux incarne l’une des facettes de la femme selon Arcan, a été développée à partir d’une idée de la comédienne, alors en résidence à l’Espace Go: «Je cherchais un projet qui allait me correspondre. Je voulais faire entendre sa voix sans forcément la rattacher à son corps, et synchroniser ses différentes images de la femme.» Sophie Cadieux est fascinée par Arcan, qui arrive à nommer la laideur qui nous habite, car elle a mis le doigt sur quelque chose qui la touche: la dualité entre ce qu’on doit être ou ce qu’on voudrait être, et ce qu’on est. «Chez moi, il y a cette simplicité que j’ai assumée toute ma vie, mais j’aurais peut-être aimé être celle qui fait tourner les têtes… Nelly Arcan, c’est la voix qui me trouble le plus.»
Autre reprise au programme, celle Des arbres à l’automne prochain, à La Petite Licorne à Montréal en octobre puis au Théâtre Périscope de Québec en novembre. Sophie Cadieux y incarne avec Maxime Denommée un couple qui se cherche autour de la parentalité, dans une pièce poignante et un brin cynique qui avait connu un joli succès lors de sa création il y a un an. «J’adore reprendre des pièces. C’est comme reprendre avec un ancien amant… ou reprendre le vélo. Ça revient vite!», rit la comédienne. «D’une part ça élargit le bassin de spectateurs, et comme interprète on y va comme un retour sur soi. On regarde aussi le spectacle un peu plus de l’extérieur… Ce n’est jamais la même chose, car on n’est plus la même personne que la première fois qu’on a joué.»
«Il y a quelque chose de plus assis en moi»
Et puis il y a les nouveaux rôles, comme celui de Valérie dans la série Lâcher prise, qu’on a pu découvrir à la télé en janvier dernier à ICI Radio-Canada Télé. Sophie Cadieux incarne une mère divorcée au bord de la crise de nerfs. Un rôle sur le fil que celui de cette femme forte et fragile à la fois, comme celle(s) d’Arcan: «Des femmes comme dans La fureur m’intéressent, car ce sont des personnages ou des univers assez loin de ma nature première, mais qui exercent une fascination, un mystère par leur grande noirceur et leur abattement. Ces femmes me touchent tellement que je vibre quand je les aborde. La fragilité et la vulnérabilité en moi sortent pour les nourrir…»
Sophie Cadieux continue d’évoluer au fil de ses personnages. C’est que, longtemps, elle a campé des jeunes femmes, victime du syndrome de la petite fille dû notamment à sa voix au timbre un brin enfantin, au côté jeune et pétillant qu’on lui associe souvent. «Avant, j’essayais de me détacher de cette facette. Maintenant ça ne me dérange plus, car il y a quelque chose de plus assis en moi. Oui, j’ai joué énormément de jeunes filles, mais ça donne ce que je suis aujourd’hui. Si vieillir comporte des deuils, il y a aussi plein de nouveaux rôles qui s’offrent à moi.»
Et de nouvelles opportunités, comme la mise en scène, à laquelle Sophie Cadieux s’est essayée en 2014 avec Tu iras la chercher, de Guillaume Corbeil. Un passage à un autre métier du théâtre qui s’est fait très naturellement: «J’avais commencé à travailler cette pièce en tant qu’interprète. Pour continuer à réinventer mon rapport au texte, il fallait que je passe de l’autre côté de la table. J’aime beaucoup la photo, l’art visuel, et c’est comme si la mise en scène devenait une mise en forme, une transposition dans le réel de mon monde intérieur… C’est un vrai complément à mon métier d’actrice.» Cette année, elle a dirigé deux comédiennes dans Gamète, présenté à la Petite Licorne, et travaille sur le prochain spectacle de Pierre Lapointe pour les Francos, Amours, délices et orgues. «Avec Pierre, c’est un peu différent. C’est un créateur foisonnant avec plein d’idées; je suis une accoucheuse pour lui, une sorte de guide.»
Corps électrique
Comédienne touche-à-tout, Sophie Cadieux est à la télé comme au théâtre et assure aimer les deux de façon égale. «Ce sont des formes différentes mais qui ont la même source. J’ai une énergie vitale plus théâtrale, je suis plus dans mon corps – je viens de l’impro… J’ai vraiment un corps électrique. Mais la télé me fait concentrer cette énergie-là pour qu’elle sorte d’une autre façon.» Une énergie qu’elle met aussi sur les plateaux télé dans Les dieux de la danse ou comme collaboratrice au Club de lecture de Bazzo.tv: «On a cette culture au Québec de faire un peu de tout, et c’est un petit milieu. Moi, ça ne me dérange pas de voir un comédien à la télé puis de l’entendre à la radio; c’est l’entièreté de la personne qui m’intéresse.»
Si sa vie professionnelle est prenante, l’actrice a vu sa vie personnelle chamboulée récemment par l’arrivée de son premier enfant. L’influence de la maternité sur son métier? «Je suis habitée par les mêmes thèmes aujourd’hui. Être mère ne définit pas la créatrice que je suis. Ce que ça change, c’est que je dois trouver une gardienne six soirs par semaine quand je joue», rit-elle. Car son conjoint, le comédien Mani Soleymanlou, multiplie aussi les projets de son côté. Mais le couple d’acteurs a trouvé son équilibre: «La plupart du temps, on ne sait pas ce que l’autre fait. On a conservé cet espace intime de création. Par exemple, je n’avais aucune idée de ce que serait sa dernière pièce avant d’aller la voir!»
Une carrière remplie pour la comédienne qui, lors de sa jeunesse à Laval, se serait plutôt vue professeure de littérature. Aujourd’hui, la lecture reste pour elle «le plus bel exutoire du monde»: «Fermer un livre et avoir vécu une vie, je trouve ça très beau…» Mais elle ne regrette pas du tout son choix de carrière, influencé par la découverte de l’impro au cégep. «Je crois que j’aurais capoté derrière un bureau. Le théâtre est une façon de mettre en forme mon plaisir de la littérature, c’est ma passion des mots qui prend corps. Être sur scène, c’est donner, donner, donner, puis sortir en étant énergisé. Il y a quelque chose d’incroyablement grisant à ça…»
La fureur de ce que je pense
Du 24 au 27 mai à 19 h 30 au Théâtre du CNA
Le 31 mai au Grand Théâtre de Québec (dans le cadre du Carrefour international de théâtre de Québec)
Du 3 au 6 juin à l’Usine C (Montréal)
Des arbres
Du 25 septembre au 20 octobre à la Petite Licorne (Montréal)
Du 31 octobre au 11 novembre au Théâtre Périscope (Québec)