Pôle Sud, documentaires scéniques : Portraits clairs-obscurs d’un quartier
Au confluent du théâtre, du documentaire et du cinéma, Anaïs Barbeau-Lavalette et Émile Proulx-Cloutier impliquent le Centre-Sud au cœur de leur démarche en présentant les histoires singulières de quelques habitants du quartier. Rencontre avec l’acteur multidisciplinaire.
Un micro et l’écoute attentive d’Anaïs Barbeau-Lavalette ont suffi à capter le matériau brut du spectacle: confidences, anecdotes, souvenirs de ce qui a pu écorcher, animer, blesser, forger les caractères et les parcours incomparables de sept personnes qui se sont racontées. «Le talent d’intervieweuse d’Anaïs, le caractère parfois foudroyant des personnages que tu peux rencontrer en contexte documentaire, le pouvoir hyper intime de l’entrevue non filmée mais seulement captée au son… On s’est dit qu’on n’avait pas besoin de faire intervenir un acteur, qu’il y avait moyen que la personne, le sujet du portrait, soit présente sur scène sans la pression d’apprendre un texte, de performer devant public. Des fois, un corps, une présence, ça parle aussi.»
Au terme de 35 heures d’échanges enregistrés par sa compagne, fort habituée au documentaire et au processus d’entrevue, Émile Proulx-Cloutier a dû entamer un travail ardu de montage sonore, de «conception narrative», qui ne lui est toutefois pas étranger. Son expérience en musique, en cinéma et en documentaire a façonné sa sensibilité au son. «Le rapport à ce qui n’est pas vu à l’écran mais à ce qui est entendu – ça peut être la voix, les effets sonores aussi – est très présent et est en amont de ma démarche. Souvent au cinéma, on prétend que le son vient après, que c’est la dernière couche, le vernis, alors que moi, des fois, c’est la colonne vertébrale de ce que je fais.» De ces enregistrements, il en a créé un essentiel du ressenti tiré des discussions, un court aperçu de vies extraordinaires qui nous seraient autrement inconnues. «C’est d’autant plus confrontant, en sachant que je vais devoir leur faire entendre et les regarder dans les yeux pendant qu’ils l’entendent. Je suis mieux d’être honnête, fidèle à ce qui a été raconté et, en même temps, il faut que ce soit intéressant pour le spectateur, donc il ne faut pas que je sois trop pudique.»
Être sur scène peut être une expérience vertigineuse pour qui ne l’a jamais vécu. Si les sept sujets s’y risquent pour la première fois, les créateurs ont quant à eux pris soin de leur créer un espace scénique constitué d’objets et de gestes du quotidien. Ils demeurent silencieux, accompagnés du montage sonore de leurs confessions passées. «Il y a quelque chose de très théâtral dans la présence même de ces personnes-là, dans leurs corps, leurs petits gestes.» La présence sur scène d’Anaïs, comme «un filet, un soutien, une bienveillance», vise à briser toute impression de voyeurisme, à sécuriser les personnes à ses côtés et à inviter le public à se laisser aller dans l’émotion.
Il était clair pour le couple que le spectacle ne serait pas une tentative d’imposer un regard unique sur le quartier ou d’en tirer des observations sociales globales. Le spectacle s’intéresse avec douceur et humanité aux sujets rencontrés, à leur vécu, comme quoi la réalité, le «vrai», regorge de beauté et s’avère être bien plus surprenante qu’on ne le croit. Un terrain d’apprentissage particulièrement foisonnant pour le comédien. «Quand tu t’intéresses le moindrement au documentaire, tu découvres qu’il y a là un bassin de personnages qui ne cadrent pas, autant dans leurs traits de caractère que dans leur manière de raconter quelque chose qui leur est arrivé, aux choix de base d’un acteur. Même dans son choix de mots utilisés, tu te demandes le chemin qu’une personne a pu prendre pour les choisir; des fois, c’est une maladresse, une perle involontaire, mais quelle matière forte! C’est aussi dans la façon dont les gens racontent un événement épouvantable et qu’ils ne trouvent pas que ça l’est au moment de le dire. C’est une grande leçon de jeu pour un acteur.»
Présenté en novembre à l’Espace Libre, Pôle Sud vivra à nouveau le temps de cinq représentations dans le cadre du Festival TransAmériques. Émile Proulx-Cloutier espère aviver notre curiosité à découvrir le quartier, ses gens et ses histoires qui ne demandent parfois secrètement qu’à être racontés. «L’idée, c’est que tu sortes du théâtre et qu’après ça, tu sois simplement un citoyen qui déambule dans le quartier et qui va capter mille autres affaires que ce qu’on a présenté.»
À l’Espace Libre du 26 au 28 mai dans le cadre du FTA