We Love Arabs : De la danse engagée?
Malgré son titre aux allures de controverse, la pièce au message réconciliateur aborde les clichés artistiques et les stéréotypes identitaires. Elle sera présentée au Carrefour international de théâtre de Québec.
«Je souhaitais faire une parodie de l’art engagé et non pas une pièce engagée.» Hillel Kogan a travaillé pendant 11 ans auprès de la compagnie de renommée internationale Batsheva Dance Company en tant que directeur de répétition. Il a récemment quitté ses principales fonctions afin de se concentrer sur la création. Dans We Love Arabs, il joue son propre rôle, celui d’un chorégraphe juif israélien qui élabore une pièce sur l’identité et ce qui la définit, et cela, tout en mouvement à travers une relation satirique entre un créateur et un danseur arabe, Adi Boutrous.
«Parfois, je sens que l’espace est positif; parfois, je le sens négatif […]. L’espace négatif ne m’appartient pas. Je sens que cet espace appartient à un Arabe […].» Cet extrait donne le ton, entre l’humour et la satire, qui définit la signature du chorégraphe. «C’était l’occasion de parler du processus de création, de la relation de pouvoir qui existe entre un danseur et un chorégraphe, un patron et son employé. D’une certaine façon, c’est la réalité politique ou ethnique en Israël et ailleurs; entre Blancs et Noirs, entre chrétiens, Juifs et Arabes; c’est le regard que pose l’Occident sur l’Orient. Tous ces motifs sont en fait une excuse pour parler de danse et non l’inverse.»
C’était également une occasion pour Hillel Kogan d’interroger l’art engagé; comment il est possible d’intégrer un discours politique ou social à travers la danse, une discipline qui est habituellement silencieuse. Dans cette pièce, présentée la première fois en 2013, le chorégraphe parle sans arrêt à l’interprète et le guide pour donner un sens aux mouvements abstraits qu’il exécute.
«Je soulève des interrogations que plusieurs spectateurs se posent: quelle est la signification de ce qui est présenté? Certains ne comprennent pas ce qu’ils voient et se sentent embarrassés. Ce sentiment existe du point de vue de l’observateur et de l’artiste.»
Hillel Kogan a créé ce spectacle en 2013, dans le cadre d’un festival israélien qui proposait aux artistes de concevoir une pièce sur la vie quotidienne et sur ce que la danse pourrait apporter au public. «Je souhaitais prouver de façon ironique que la danse avait le pouvoir de promouvoir la paix entre Juifs et Arabes, un sujet chaud pour la société israélienne.» À cette époque, le chorégraphe s’interrogeait notamment sur la notion d’identité et comment celle-ci était perçue à travers le mouvement. C’est peut-être cette réflexion qui rend la pièce engagée, même si elle n’en a pas la prétention. «Comment définit-on un individu, quel est notre système d’identification, comment créons-nous une hiérarchie entre les différentes ethnies? Quel est le stéréotype d’un mouvement, d’une ethnie et d’une identité? […] We Love Arabs interroge la façon dont on perçoit les Arabes, nous, la majorité blanche, juive, israélienne. Adi, le danseur qui m’accompagne, appartient à la minorité. Nous avons les mêmes droits et le même statut civil, mais nous sommes différents: d’où viennent ces différences? C’est la question que je pose et la recherche que je mets de l’avant dans la pièce, sans donner de réponse.»
Quand on lui demande si la responsabilité de soulever de tels débats relève de celle d’un artiste, Hillel Kogan est catégorique: «Non, je pense que le citoyen, celui qui a droit de vote, détient cette responsabilité, beaucoup plus que l’artiste. Les politiciens qui ont été élus aussi.» Selon lui, l’art ne peut prétendre inciter un spectateur à changer de vision politique ou morale. Il peut, au mieux, mettre en lumière un enjeu. «Dans cette approche, le créateur peut avoir un impact. Lorsque Picasso a commencé à déconstruire le visage des femmes, il a permis aux gens de voir la femme et la peinture différemment, de voir le monde dans une autre perspective.»
We Love Arabs a déjà été présenté dans plusieurs pays, entre autres en France, en Allemagne et en Italie. «Ailleurs dans le monde, les gens pensent que la pièce porte sur la relation entre Juifs et Arabes en Israël. Ce n’est qu’après avoir vu le spectacle qu’ils réalisent que le propos s’adresse à eux directement, qu’il est universel.»
Hillel Kogan est un libre penseur qui, comme de nombreux artistes, veut «abattre des frontières».
We Love Arabs
Les 30 et 31 mai
Au Théâtre de la Bordée