Après La jeune fille et la mort et Les oiseaux mécaniques, Le bureau de l’APA – troupe de théâtre de Québec fondée par Simon Drouin et Laurence Brunelle-Côté – propose Entrez nous sommes ouverts, une immense fête au confluent de la folie; une recherche de connexions s’apparentant plus à une recherche du temps perdu.
On accueille le public sur des airs de musique électronique, alors qu’en arrière-plan Ludovic Fouquet se démène sur sa petite piste de danse personnelle. Une DJ (Julie Cloutier Delorme) est aux platines et les trois autres membres restent plutôt stoïques. La scène a des allures de laboratoire clandestin: chacun est à son poste, tablier autour du cou, alors que les fils se mêlent et s’emmêlent un peu partout. Dès lors, la démonstration peut commencer, car c’est un peu cela à quoi nous convie l’APA cette fois-ci: une expérience dont eux-mêmes évaluent leur possibilité d’échec à 10%, une expérience pour ouvrir des chemins électroniques, une quête pour voir l’invisible, une chasse aux boutons de toutes sortes.
Si le Bureau de l’APA aime le risque, proposant toujours des chaos dans lesquels le spectateur doit se perdre pour se retrouver, il présente ici son spectacle le plus brouillon. Avec trois performeurs, un danseur, un régisseur et un musicien sur scène, chacun joue sa partition avec d’étranges instruments pour nous présenter leur découverte. Que ce soit un citron ou un verre de vin câblé créant un son ou une musique, ou encore une chaise qui émet une mélodie lorsqu’on la déplie, on ne semble jamais aller vraiment plus loin que le procédé lui-même. On se demande si on a prêché par paresse ou par naïveté, mais reste qu’on semble voir ici quelques étudiants s’éclatant dans un laboratoire de science physique, une nuit où le concierge de l’école a laissé la porte déverrouillée.
Plus on avance dans ce capharnaüm, – où la scénographie est beaucoup plus utilitaire qu’éloquente et où les quelques caméras permettent de proposer de rares regards différents sur l’espace – plus on a la choquante impression qu’ils n’ont pas su s’élever au-dessus des dispositifs qu’ils ont mythifiés plutôt que de les utiliser réellement. On reste dans l’action: ni le texte ni l’esthétique ne permettent au public d’autres pistes de réflexion que celles créées devant nous, à répétition.
Les rares moments où on laisse place au discours, on plaque aux procédés un parallèle si évident qu’il n’en reste rien: celui des connexions entre les êtres et les choses, entre les moments et les idées qu’ils font fleurir. Comment s’assurer de ne pas gaspiller une idée? Pouvons-nous revoir nos façons de penser le monde? Si cette question semble être à la base de leur proposition théâtrale, ici, l’interrogation ne reste qu’évoquée, sans aucune piste de solution.
Beaucoup plus proche de la performance qu’une réelle proposition théâtrale, Entrez nous sommes ouverts débute avec autant de promesses qui se perdent dans les méandres du spectacle. Si Simon Drouin nous invite à lire Désorceler de Jeanne Favret-Saada, en plus de nous promettre un spectacle comme «une idée radicalement nouvelle», on sort de la représentation en se disant qu’ils sont plutôt tombés dans le plus vieux des pièges: celui de se noyer dans ses dispositifs et ses procédés en oubliant petit à petit de les faire communiquer entre eux. En résulte 90 minutes d’un trio de Nikola Tesla déphasé qui ne cesse de connecter avec lui-même, mais si peu avec le public.
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Un spectacle de Bureau de l’APA, équipe de création David Archambault, Frédéric Auger, Laurence Brunelle-Côté, Jasmin Cloutier, Julie Cloutier Delorme, Simon Drouin, Ludovic Fouquet, Danya Ortmann et Chloé Surprenant, interprétation de Frédéric Auger, Jasmin Cloutier, Julie Cloutier Delorme, Simon Drouin, Ludovic Fouquet et Danya Ortmann.
À l’Espace Libre jusqu’au 3 juin 2017