Scène

Foreign Radical: un spectacle dont vous êtes le héros

Joué en anglais, mais ponctué de quelques segments en arabe et en farsi, Foreign Radical soulève de graves questions liées à la xénophobie.

Hautement divertissante, drôle par moments et infiniment politique : la pièce Foreign Radical pousse le théâtre et son public dans ses moindres retranchements. C’est aussi, probablement, la proposition intérieure qui peut le plus rassembler au parcours déambulatoire Où tu vas quand tu dors en marchant… ? parce que le spectateur se déplace d’un lieu à l’autre et va même jusqu’à échanger avec les comédiens. C’est rythmé, ça passe très vite.

Créé en 2015 à Vancouver, le texte de Tim Carlson met de l’avant les enjeux humains liés à la sécurité. Une thématique qui résonne encore davantage deux ans plus tard avec le décret anti-immigration de Trump, notamment, l’attaque à la mosquée de Québec cet hiver et le récent attentat terroriste dans un concert d’Ariana Grande à Manchester.

La peur de l’autre est un sujet central de cette œuvre qui pousse à réfléchir, tandis que le personnage joyeusement décalé de Milton Lim nous questionne sans cesse sur nos valeurs, notre vécu. Et nos réponses, individuelles, auront pour effet de changer le cours de ce spectacle. Où n’est-ce qu’une illusion ? Qu’à cela ne tienne : le public a rarement été aussi intimement interpelé que dans cette pièce. Foreign Radical invite littéralement au dialogue sans juger les réponses des protagonistes : vous et moi, en l’occurrence.

(Crédit: Robert Dewey)
(Crédit: Robert Dewey)

Rares sont les metteurs en scène (Carlson avec Jeremy Waller) qui parviennent à créer une expérience si authentiquement immersive et interactive. La scénographie de Kyla Gardiner, simple mais tellement efficace, y est certainement pour quelque chose. Interpelé par une voix off solennelle comme celle des aéroports, le public est balloté d’une pièce à l’autre, de sombres compartiments modelés par des rideaux noirs opaques. Dramatiques et surprenants, les éclairages (Mark Eugster) ainsi que la musique (compositions originales de David Mesiha) font un peu grimper notre rythme cardiaque lorsque Issam Rahmani (troublant Aryo Khakpour) entre en scène. Le comédien se prête alors à des monologues d’une grande intensité, des émotions extrêmes qu’il livre sans fausse note, alors que l’homme qu’il incarne se voit victime de profilage racial et, par conséquent, incarcéré.

L’ambiance s’alourdit au fur et à mesure qu’on s’enfonce dans le labyrinthe aménagé dans le Studio d’Essai de Méduse. Le jeu de Khakpour est tellement juste qu’il nous contamine : on en vient à croire que nous sommes nous aussi prisonniers de ce jeu de plus en plus sinistre, de ce décor de moins en moins lumineux. Sans vouloir voler de punch, disons seulement qu’on sort de cette salle plus conscients que jamais de nos privilèges de Blancs (public homogène oblige) et de notre liberté. Un spectacle puissant, tout sauf moralisateur d’ailleurs, que tous les gens de Québec à voir.

Les 9 et 10 juin
Studio d’Essai de Méduse
(Dans le cadre du Carrefour international de théâtre de Québec)