Scène

Le placard : Triangle d’or

Trois camarades de jeu pour autant de générations, trois acteurs d’exception qui brillent par leur naturel et leur intensité sans pareils. Cet été, les grands esprits se rencontrent.

La LNH a son match des étoiles, et Québec, son équivalent théâtral. Jamais réunis jusqu’ici, les membres du premier trio de l’équipe locale promettent de briller tout l’été durant dans Le placard.

Dans le coin droit, sur la photo: Hugues Frenette. Bouleversant d’agressivité et d’émotions contenues dans À toi, pour toujours, ta Marie-Lou, à fleur de peau dans Dévadé, marquant dans les rôles-titres de Vania et Cyrano… Infiniment vrai, tout en nuances, le comédien est passé maître dans l’art d’afficher furtivement ce qui bout en dedans. La douleur comme l’excès de tendresse, cette espèce de magma intérieur qui rend l’humain si complexe et beau.

À côté de lui? Charles-Étienne Beaulne. Le cadet de notre petit groupe, oui, mais pas une recrue pour autant. L’onirique «K» Buster, c’était en 2013, lui a permis d’étaler sa polyvalence. Viendront ensuite Trainspotting, adaptation scénique extrêmement solide, puis son impitoyable performance dans Les marches du pouvoir – cette pièce de Beau Willimon qui est venue remuer le cynisme ambiant en pleines élections américaines. Il est à l’interprétation ce qu’Alexandre Fecteau est à l’écriture: l’un de nos plus beaux espoirs.

Jack Robitaille, le troisième mais assurément pas le moindre, n’a plus tellement besoin de présentations. Sa feuille de route déborde. Une force tranquille, un calme qui désarme, une rare générosité pour autrui, sur la scène comme dans la vie. C’est un gentleman, un sage au sourire encore moqueur.

Cette pièce comique, d’abord écrite pour le ciné en 2001, tranche dans leurs curriculum vitae d’éminents tragédiens. Se mettre du Francis Veber en bouche, c’est faire une pause de drame pour plonger dans la rigolade – sans se prendre la tête, précise Hugues. «C’est dur de faire de la comédie quand le texte est pas bon, et ça, ça arrive souvent…» Charles-Étienne le complète. «Et dans ces cas-là, il faut que tu travailles vraiment fort sur le punch, le timing, ces affaires-là. Parce que c’est pas écrit comme ça, parce que la musicalité du texte apporte pas ce genre de rebondissements-là. Mais là, Veber? C’est assez efficace!» C’est un auteur qui a fait ses preuves dans l’Hexagone comme chez nous, un nom synonyme de répliques savoureuses, d’un rythme soutenu. «C’est une mécanique bien huilée», conclut Jack.

Le casting est génial: Robitaille incarne Kopel, le patron, Charles-Étienne est Guillaume, même s’il ne ressemble pas du tout à Thierry Lhermitte, et Hugues prête ses traits à Pignon dans le plus grand respect du texte. «Plus tu le fais simplement, plus ça marche. À partir du moment où t’essaies de calquer autre chose, là, ça devient compliqué. Il faut s’en tenir aux répliques et à la situation.»

Ici, dans le cas qui nous concerne, le personnage phare de l’œuvre de l’écrivain est comptable pour une compagnie de condom. Aussi pathétiquement attachant que dans L’emmerdeur et Le dîner de cons, le pauvre type est une fois de plus barouetté par la vie et soumis à ses limitations intellectuelles, à son estime de soi anémique. «C’est l’fun à jouer. À chaque fois que je me fais dire que je suis insignifiant ou que j’ai pas d’allure, je réponds que je le sais…» Cerise sur le sundae: l’histoire commence avec une tentative de suicide du personnage principal qui se sait condamné au licenciement. Aidé d’un collègue, il s’efforcera de simuler une homosexualité longuement refoulée, à sortir d’un placard où il n’est finalement jamais rentré, pour conserver son emploi au nom du politically correct. Une prémisse qu’Olivier Nicklaus des Inrocks avait, à l’époque, décrite comme improbable, «déconnecté[e] de la réalité» de la France «républicaine et contemporaine», ce même pays qui a flirté avec Le Pen et manifesté contre le mariage pour tous une décennie, presque deux, après la sortie du film. «C’est curieux, la France, dira Jack. T’as l’impression que les intellectuels sont 10 000 ans en avance sur nous autres, mais il y a une France conservatrice qui ne s’exprime pas beaucoup.» Une masse quasi silencieuse, peu éloquente, certes, mais mise en scène dans ce texte encore follement actuel, québécisé pour l’occasion, qui fait réfléchir aux inégalités ou aux préjugés qui perdurent à l’égard des homosexuels dans certains milieux de travail.

Du 19 juillet au 26 août
Au Théâtre Petit Champlain