Depuis plus de 10 ans, Jean-Simon Traversy et David Laurin pensent et repensent le théâtre ensemble. À l’origine de Lab87, compagnie de théâtre visant à promouvoir les dramaturgies anglo-saxonnes émergentes, les deux acolytes ont décidé de postuler ensemble pour le poste de directeur artistique au Théâtre Jean-Duceppe. Traversy souligne que cela s’est fait progressivement: «Au mois de janvier, on a su que Michel Dumont partait, et Louise Duceppe avait envie de savoir ce que les jeunes pensaient de son théâtre. On s’est permis de dire des choses qu’on se dit parfois entre nous dans des loges… C’est après ça qu’on a reçu un appel pour déposer nos candidatures individuelles. On s’est dit que si on le faisait, on allait le faire ensemble. Je pense que ça a surpris pas mal tout le monde.»
Si pour certains cette nomination peut ressembler à une rupture dans l’histoire de ce théâtre qui n’a connu que deux directions artistiques – celle de Jean Duceppe et celle de Michel Dumont –, Laurin rappelle pourtant les ponts évidents qui s’érigent entre le théâtre et leur compagnie. «Il y a quand même des rapprochements à faire entre nous, avec notre compagnie Lab87, et le Duceppe. Eux aussi faisaient du théâtre américain et britannique, grand public et accessible. Quand on a déposé notre projet, c’était une façon de le réinventer.»
Bien qu’ils savent qu’ils ne peuvent – et ne doivent pas – tout changer et mettre le feu, les nouvelles directions qu’ils voudront prendre avec cette institution seront des changements à long terme. Et leur soif de théâtre et leurs ambitions demeurent intactes. Pour Jean-Simon Traversy, il y a le devoir de rester ouvert à ce qui se fait dans le monde: «Notre travail sera beaucoup de ramener la dramaturgie au diapason de ce qui s’écrit en ce moment. Les pièces qui gagnent les grands prix internationaux, les meilleurs textes, ne devraient pas être programmées dans sept ans; d’ici là, elles n’auront plus rien à nous dire. Elles devraient être programmées demain matin. C’est ça, notre job: rester à l’affût.»
Un retour au théâtre
Quant à David Laurin, sa foi inébranlable n’en est que redoublée: «On est convaincus qu’il va y avoir un retour au théâtre, que ça va être l’art du 21e siècle. Parce qu’à un moment donné, on va atteindre un point de saturation avec les écrans. Déjà là, on s’approche d’un seuil où les gens vont être tannés. Moi, je le suis, et ce retour aux gens et aux contacts humains, j’y crois comme jamais.»
Si cette place et cet amour de la littérature anglo-saxonne se retrouvent tant chez Lab87 que chez Duceppe, Laurin souhaite maintenant pouvoir amener ça ailleurs. Lui et son partenaire ont déjà ouvert différents canaux de communication avec des théâtres à Londres et ailleurs, et espèrent désormais avoir la possibilité de créer plus d’échanges pour promouvoir les dramaturges québécois à l’étranger.
«Un des rôles qu’on aimerait jouer, c’est celui de facilitateur des talents de nos dramaturges québécois à l’international. On s’est tellement laissés inspirer par des théâtres qui laissaient entrer de la dramaturgie étrangère… Nous aussi on a des auteurs qui seraient prêts à être joués dans d’autres pays, et ça aurait vraiment de l’allure. Dès qu’on va avoir en main un texte d’un de nos auteurs en résidence, on va immédiatement le traduire en anglais et le proposer dans des salles à l’étranger. Parce que nous, on parle avec ces salles-là, on leur commande des textes, maintenant, et au même moment, on va pouvoir leur glisser des textes d’auteurs d’ici qui pourraient résonner entre leurs murs.»
L’Australie ouvre le bal
Le hasard faisant bien les choses, la dernière production de Lab87 se retrouve dans la programmation de chez Duceppe; une première pour le duo. Montant une pièce à neuf acteurs pour la première fois, ils se sont donné le droit de cogner à la porte des grands théâtres pour la proposer. Ils ne s’attendaient pas à ce que cette production soit présentée au Trident de Québec et en ouverture de saison chez Duceppe. «Je cherchais une pièce de création australienne ou néo-zélandaise et je me suis rendu compte qu’il y en avait peu. Et quand je suis tombé sur ce texte de Bovell, j’ai été complètement sorti de ma zone de confort.» Quand la pluie s’arrêtera de l’Australien Andrew Bovell a été traduite par Frédéric Blanchette, qui signera aussi la mise en scène. Ils se sont donc assis chez Duceppe l’automne dernier pour réfléchir à la distribution, avant même de savoir qu’ils piloteraient ce théâtre quelques mois plus tard.
Campée en 2039 entre un appartement londonien et la vastitude du territoire australien, la pièce est un chassé-croisé dans les méandres d’une histoire familiale se déroulant sur plusieurs générations. Mettant en vedette entre autres Normand D’Amour, Véronique Côté, David Laurin et Linda Sorgini, cette production ouvre sans le savoir l’ère Traversy-Laurin chez Duceppe. Elle s’inscrit aussi dans les changements de garde des théâtres montréalais, incluant l’arrivée d’Olivier Kemeid au Quat’Sous, d’Olivier Bertrand à La Chapelle et de Geoffrey Gaquère à l’Espace Libre. Un renouveau qui démontre l’importance de la circulation des idées et des créateurs, cette nécessité d’une mouvance des visions et d’une rencontre de différentes esthétiques pour garder une scène vive, plurielle et sans limites.
Quand la pluie s’arrêtera,
d’Andrew Bovell
Au Théâtre Jean-Duceppe
Du 6 septembre au 14 octobre