Scène

Quand la pluie s’arrêtera : Labyrinthe narratif

Il y a de ces drôles de hasards. La production ouvrant la saison théâtrale chez Duceppe cet automne en est une créée par le même duo qui reprend actuellement les rênes dudit théâtre. Avec Quand la pluie s’arrêtera de l’Australien Andrew Bovell, nous avons donc là quelque chose comme une mise en bouche.

La pièce, traduite et mise en scène par Frédéric Blanchette, fut d’abord écrite et montée en 2008 en Australie, puis reprise en 2010 au Lincoln Center Theater de New York. Sept ans plus tard, elle nous arrive sur l’immense scène du Théâtre Jean Duceppe. Coproduite par le théâtre Le Trident de Québec, la distribution est donc un amalgame des talents issus des deux villes.

Plongée en 2039 alors qu’une pluie diluvienne s’abat sans cesse sur la ville, un homme de petite envergure – interprété par Normand D’Amour -, enfermé dans un minable appartement, reçoit un coup de fil de son fils qu’il n’a pas vu depuis plusieurs années. De ce coup de fil démarrera un chassé-croisé dans le temps, remontant de génération en génération, se promenant de l’Angleterre des années 1960 à une Australie quasi postapocalyptique. La mise en scène de Frédéric Blanchette permet de façon excessivement efficace de s’immiscer dans les méandres du texte.

Autour des thèmes de la passation et des ruptures filiales – paternelles la plupart du temps –, le texte de Bovell vise toujours à remonter vers un drame qui se construit par à-coups et demi-vérités. On comprend parfaitement le coup de foudre du duo formé de Jean-Simon Traversy et David Laurin pour cette pièce, tellement sa structure est construite avec ingéniosité et intelligence. Le texte lui-même devient un jalon temporel, à mesure où des phrases complètes sont reprises de génération en génération, dessinant ainsi les liens familiaux avec justesse et subtilité.

Par sa complexité et son crescendo, la mise en scène de la pièce relevait du défi. Frédéric Blanchette parvient habilement à faire écho aux répétitions à même le mouvement, créant une cohérence dans ce casse-tête qui se dévoile devant nous scène après scène. La grande distribution livre la marchandise et notons au passage la toujours excellente Linda Sorgini qui parvient ici à jouer de difficiles ruptures de ton sans jamais en mettre trop, portant ainsi son personnage avec soin. La sincérité et l’efficacité du jeu de Marco Poulin dans le rôle de Joe Ryan, l’une des révélations du spectacle, est habile tellement il ne semble ne jamais rien forcer.

Le défi pour la troupe de Lab87 (la compagnie fondée par Traversy et Laurin) était bien sûr la mise en espace. Il fallait trouver une façon d’habiter les lieux, elle qui est habituée à jouer sur de plus petites scènes. Si le danger était de tomber dans une scénographie trop clinquante, Marie-Renée Bourget Harvey parvient à créer un décor sobre qui englobe la pièce sans tomber dans quelque chose de clinquant qui aurait pu jurer avec la proposition.

Il y a longtemps qu’on était sorti de ce théâtre avec des réflexions pleines la tête, tant sur le fond que sur la forme. Quand la pluie s’arrêtera est le premier jalon d’une nouvelle direction artistique qui débutera dès septembre 2018 et on ne peut en être que ravie. Il y a là un premier virage réussi sans pour autant être une rupture à la mission et au mandat de l’institution. On attend donc la suite avec impatience.

Quand la pluie s’arrêtera
Texte : Andrew Bovell
Mise en scène et traduction : Frédéric Blanchette
Avec : Véronique Côté, Normand D’Amour, David Laurin, Christian Michaud, Alice Pascual, Marco Poulin, Maxime Robin, Paule Savard, Linda Sorgini

Au Théâtre Jean-Duceppe jusqu’au 14 octobre 2017

La pièce prendra l’affiche au Trident à Québec du 16 janvier au 10 février 2018.