Une femme attend. D’abord sa meilleure amie, puis la fille de cette dernière, et finalement son mari. Peu à peu, ils arriveront. Ils doivent faire vite, ils doivent partir. Le temps fuit, eux aussi. Telles sont les bases de la pièce Je disparais que le dramaturge norvégien contemporain Arne Lygre a écrite en 2011. Bien qu’elle puisse sembler embrasser la question des réfugiés pleinement, elle se loge clairement à même le théâtre scandinave, où l’écriture elle-même est un personnage en soi.
Mise en scène par Catherine Vidal, cette partition pour cinq acteurs débute d’abord par un monologue de Marie-France Lambert. Entrant sur la scène du Prospero qui a tout d’un agora – siège en forme du U embrassant la scène –, Lambert s’adresse au public. Elle est ici, chez elle. Elle décrit l’endroit, dicte ses mouvements, parle du quartier qu’elle devra, contre son gré, quitter. Dans l’attente, elle parle de synchronicité, de cette femme – une femme – ailleurs, qui arpente une petite pièce en pleine hystérie. Au fil de Je disparais, ces réflexions fantasmées qui se marient à l’horreur seront tantôt narrées par les personnages, tantôt jouées par ces derniers. Les phrases sont courtes, les mots reviennent comme des métronomes, au rythme des allées et venues des personnages sur scène.
La mise en scène de Catherine Vidal démontre une énorme sensibilité au texte de Lygre, dépouillée de tout artifice alors que la scénographie vierge laisse toute la place au texte du Norvégien. L’éclairage intelligent de François Marceau crée habilement les limites de la scène, la séparation entre ici et ailleurs, entre le réel et le fantasme. Tout au long de la pièce, les acteurs auront à porter ce choix, à occuper l’espace, à jouer le lieu. Vidal signe ici une mise en scène qui fait admirablement écho à la pureté du texte.
Les personnages ici ne sont pas nommés. Une femme, son amie, la fille de son amie et son mari sont attendus devant nous. Ils arriveront sur scène au même rythme qu’ils la quitteront, un à la fois. Quittant la maison sans son mari qui se fait attendre, cette femme fera confiance à son amie, ici interprétée par Macha Limonchik. Dans un rôle dense et tendu, la comédienne finit rapidement par agacer. Son jeu alarmant semble uniforme aux côtés d’une Marie-France Lambert en pleine possession de ses moyens. Même chose pour Larissa Corriveau qui interprète sa fille. Celle qu’on avait trouvé nuancée dans Les manchots d’Olivier Kemeid au Quat’Sous en mars dernier joue ici la rage et l’ambition de la jeunesse sans nécessairement la modérer.
Si, au départ, on est charmés par l’audace des choix scénaristiques de Vidal et par l’aplomb de Lambert, plus la pièce avance, moins elle semble répondre aux promesses de la première partie. Même James Hyndman, qui arrive à la dernière partie, n’est pas aussi convaincant qu’à son habitude. Bien que le texte de Lygre en est un duquel on ne peut tout saisir et qu’il y a là des prémices que l’on doit accepter dès le départ, il semble que la proposition s’essouffle dans le dernier droit, abandonnant ainsi autant le spectateur que l’histoire.
Jusqu’au 21 octobre au Prospero
Texte: Arne Lygre
Traduction: Guillaume Corbeil
Mise en scène: Catherine Vidal
Avec: Larissa Corriveau, James Hyndman, Marie-France Lambert, Marie-Claude Langlois, Macha Limonchik
Éclairages: François Marceau
Conception sonore: Francis Rossignol