Scène

Mort d’un commis voyageur : au nom du père

Il y a quelques temps, Serge Denoncourt demandait à l’acteur Marc Messier dans quelle pièce il aimerait faire son retour au théâtre. Messier en a cité plusieurs, mais il a surtout parlé de son amour pour la dramaturgie américaine et notamment pour les pièces d’Arthur Miller. Le metteur en scène lui a donc proposé le rôle mythique de Willy Loman dans Mort d’un commis voyageur. Avec cette partition, jouée à de nombreuses reprises au théâtre Duceppe, c’est la première fois que Marc Messier se glisse dans un rôle dramatique.

Cette pièce, écrite pendant l’après-guerre, raconte les désillusions face au rêve américain : un père se bat pour survivre et payer ses dettes, alors qu’il se fait licencier par la compagnie dans laquelle il a passé toute sa carrière. Il croyait qu’il fallait être aimé de tous et connu pour réussir, mais il se rend peu à peu compte de l’implacabilité du modèle capitaliste. Finalement, sauver les apparences ne sauve plus… Démonter le rêve américain à l’ère de Trump, voilà un contexte qui donne un bel écho à cette pièce de 1949.

La femme de Loman (touchante Louise Turcot), épouse fidèle et dévouée, veut le protéger, notamment face à son fils Bif avec lequel il passe son temps à se disputer. Car si la pièce tourne certes autour de la société américaine et de son système capitaliste, il est surtout question de cette relation père-fils tourmentée, de ces deux hommes qui ne se comprennent plus. Au milieu de la dizaine de comédiens sur scène, le talent de Marc Messier ressort avec brio alors qu’il incarne du haut de ses 70 ans ce personnage tout en fragilité et au bord du gouffre, qui passe du rire à la colère en un clin d’œil.

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Pendant les deux heures que dure la pièce, de nombreuses répliques sont hurlées et les cris sont récurrents au fil des disputes de famille. On salue ici la vraie performance scénique offerte par les personnages principaux – notamment celle d’Éric Bruneau en fils perdu. On sent tout l’amour que se portent les membres de la famille Loman, amour qui se brise sur les problèmes de communication, l’ambition démesurée, le mensonge et les masques. On suit la lente descente aux enfers du père qui commence doucement à perdre la tête…

Un texte intense, que Serge Denoncourt a traduit puis travaillé dans une mise en scène plutôt sobre pour concentrer l’attention sur les répliques très denses. Quelques va-et-vient dans le passé nous permettent de comprendre plus en profondeur la relation entre le père et son fils, mais aussi d’admirer le jeu d’Éric Bruneau qui saute du jeune étudiant un peu fou au trentenaire taciturne et fauché.

Le bémol à cette mise en scène pourtant efficace : quelques touches de musique parfois malvenues viennent accompagner certains moments dramatiques, appuyant encore la tragédie dans cette pièce déjà très pesante. Mort d’un commis voyageur, pièce gratifié d’un Pulitzer de la meilleure pièce, de six Tony Awards ainsi que du New York Drama Critics’ Circle Award, raconte le déclin de l’empire américain, mais aussi et surtout le déclin d’une famille. On en ressort très lourd.

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Mort d’un commis voyageur 
Jusqu’au 4 novembre au Théâtre du Rideau Vert – Montréal