Scène

Cent fois sur le métier

Vous la verrez partout cette année. Pourtant, il y a 5 ans, Karine Gonthier-Hyndman était inconnue au bataillon. La comédienne de 33 ans a pris les choses en main pour propulser une carrière qui battait de l’aile. Portrait d’une travailleuse acharnée.

Elle joue les névrosées dans Like-moi! ou la banlieusarde psychorigide dans Les Simone. Dans Toccate et fugue, la plus récente pièce d’Étienne Lepage, elle était la dépressive chronique, en mal d’amour. Cet hiver au Théâtre Denise-Pelletier, changement de ton: elle sera la jeune amoureuse shakespearienne dans Le songe d’une nuit d’été. On a l’impression que Karine Gonthier-Hyndman peut carrément tout jouer. «Ce que j’aime le plus de Karine, c’est cet éclectisme», nous dit son bon ami Jean-Philippe Baril Guérard, qui l’a notamment dirigée dans sa pièce Tranche-cul. «C’est vraiment une belle fille, elle est parfaitement typée pour jouer les femmes fatales, mais elle ne table absolument pas là-dessus; elle cherche vraiment et souvent des zones pas nécessairement flatteuses.»

Ce qui est certain, c’est qu’elle a soif de jouer des rôles variés, craignant plus que tout d’être cantonnée dans un seul registre. «Quand on est acteur, dit-elle, on peut tout jouer et on veut tout jouer. Rien de pire que de faire à peu près toujours le même personnage.» Il a pourtant fallu du temps à cette comédienne en pleine possession de ses moyens pour arriver à ce degré d’ouverture et de ferveur. «En sortant de l’école de théâtre, je ne travaillais pas du tout. Sans doute parce que je ne ressentais pas l’urgence et que je n’étais pas encore assez mature. Il m’a fallu des années à me trouver vraiment comme actrice et à trouver en moi le feu, la passion, l’engagement nécessaire à ce métier. À 29 ans, j’étais épuisée et malheureuse de ne pas travailler, j’en avais marre d’une carrière qui stagnait. Mais le feu est apparu, je me suis activée, j’ai trouvé une bonne agente, j’ai fait une tonne d’auditions et les choses se sont passées.»

Être actrice, une évidence

Du plus loin qu’elle se souvienne, Karine Gonthier-Hyndman a toujours voulu être comédienne. Faut dire qu’il y avait dans la famille un oncle acteur qu’elle observait travailler en se disant que c’était la chose la plus naturelle au monde. «Grandir avec James Hyndman comme oncle, ça m’a montré qu’il était possible de vivre ce métier sans angoisse, dans la régularité et la sérénité. Il m’a coachée pour mes auditions dans les écoles de théâtre, parce que j’étais terriblement pas ancrée dans mon corps à cette époque, j’étais renfermée, je manquais de souplesse, j’étais complexée. C’était affreux. Il m’a sauvée. On a une belle relation, lui et moi, mais par la suite, on a cultivé une certaine distance professionnelle: je ne voulais pas qu’il se sente responsable de me faire entrer dans ce métier ou qu’il ressente une quelconque pression d’aider sa nièce aspirante actrice.»

Née à Ottawa d’un père musicien qui travaille en développement international et d’une mère traductrice qui est aussi peintre à ses heures, la comédienne a pour ainsi dire grandi dans un environnement propice. «J’ai été par exemple initiée très jeune au cinéma d’auteur, dit-elle. C’était aussi très politisé chez moi, avec des discussions corsées autour de la table. Sauf que je n’avais pas le profil de l’étudiante brillante en sciences po; je n’ai jamais été très concentrée en classe, je suis plutôt hyperactive.»

photo : Julie Artacho
photo : Sarah Laroche

Elle est en train de devenir l’actrice polyvalente qu’elle a toujours voulu être, à force d’accumuler les rôles contrastés. Mais les rôles féminins complexes sont rares, pense-t-elle. «Les personnages féminins trentenaires, surtout à la télé, sont plutôt unilatéraux. Je rêve d’un rôle comme celui que joue Isabelle Blais en ce moment dans la nouvelle série Fait divers: un rôle infiniment complexe.»

Une femme de méthode

On pourrait la croire spontanée et explosive, vu son timing comique et les personnages excessifs qui nous l’ont fait connaître. Mais Karine Gonthier-Hyndman est en fait une actrice au labeur patient, qui prépare ses rôles longuement d’avance et de manière très méthodique.

D’une part cérébrale: elle lit tout ce qui peut nourrir son travail et s’engage dans la réflexion; d’autre part très incarnée et très physique, dans un long apprivoisement et développement de son personnage avec un coach. «Les gens s’étonnent souvent quand je raconte ça, mais j’ai effectivement recours à un coach chaque fois que je dois construire un nouveau rôle. Je trouve important d’avoir un regard extérieur, de me mettre en dialogue avec une personne de confiance pendant mon processus de création, de chercher à déjouer mes réflexes, de faire du ping-pong verbal avec une autre personne, qui m’aide à exploiter plein de potentialités différentes du personnage à construire.»

Et surtout, elle ne néglige pas le travail corporel: jouer, c’est avant tout physique, pense-t-elle. «Je suis à cet égard inspirée et admirative devant des acteurs comme Renaud Lacelle-Bourdon ou Sophie Cadieux, avec qui j’ai récemment travaillé, et qui ont une incroyable maîtrise de leurs corps, c’est passionnant à regarder.»

Montréal la belle

Arrivée à Montréal à l’âge de 15 ans, Karine Gonthier-Hyndman est une amoureuse éperdue de sa ville. «J’ai l’impression d’avoir seulement commencé à exister quand je suis arrivée à Montréal», lance-t-elle énergiquement. Dans le spectacle Jusqu’où te mènera Montréal?, créé au Festival TransAmériques et présenté à nouveau ce mois-ci aux Écuries, elle témoigne du foisonnement de la ville en mode cabaret. «Le spectacle m’a fait réaliser à quel point la plupart d’entre nous ne connaissent qu’une infime partie de notre ville. C’est une ville énorme dont nous n’explorons presque jamais les extrémités est et ouest, et il y a là des tonnes de microcultures urbaines qui sont fascinantes à découvrir.»

Montréal est passionnante, certes, mais elle a besoin d’amour. «Le spectacle explore notamment l’idée que Montréal a l’architecture triste et qu’elle aurait besoin d’une petite cure de beauté. C’est bien vrai.»

Le goût de la beauté, voilà une autre chose qui motive Karine Gonthier-Hyndman à se dépasser sur scène et à l’écran. Une quête qu’on lui souhaite de poursuivre longtemps.

Jusqu’où te mènera Montréal
Du 12 au 14 octobre
Théâtre Aux Écuries