Scène

Gregory Dahl : Être Rigoletto

Le baryton des Prairies revient à Québec pour se glisser dans les chaussons du plus triste bouffon qui soit, un rôle aussi corsé que légendaire. 

« Pour moi, la scène est le lieu le plus sacré sur terre. Sur scène, tu dis la vérité. Dans la vie, on ment. » Dévoué, généreux sous les projecteurs comme en coulisses, Gregory Dahl est de ceux qui se livrent sans masque. Il a fait ce pacte avec le public.

Originaire de la capitale manitobaine, le vocaliste a reçu l’appel en chantant de l’église. Petit garçon, déjà, il avait trouvé sa vocation. « Winnipeg regorge d’ensembles vocaux. Personne ne sait ça et je te jure : il y a tellement de belles voix chez nous! » Plus tard, à la fin de la vingtaine, il travaillera même comme prof de chorale dans une école secondaire. C’était peu de temps avant qu’il ne se réoriente vers l’opéra, poussé par l’abolition de son poste dans ce High School qui l’avait embauché.

Il y a déjà longtemps que sa voix résonne d’un océan à l’autre. Ici, on l’a vu dans The Tempest de Robert Lepage (une coproduction du Metropolitain Opera de New York), dans Macbeth, dans le diptyque de Puccini présentée l’automne dernier presque à pareille date. Ce Rigoletto est le neuvième Verdi de son florissant curriculum vitae, sa troisième collaboration avec L’Opéra de Québec.

Gregory Dahl dans Macbeth (Crédit: Louise Leblanc, Courtoisie Opéra de Québec)
Gregory Dahl dans Macbeth (Crédit: Louise Leblanc, Courtoisie Opéra de Québec)

Le directeur général et artistique Grégoire Legendre l’a carrément adopté et lui confie, cette fois-ci, qu’il ne pouvait qu’octroyer à un interprète mature. « Je crois qu’il faut avoir un certain âge pour jouer ça, un sérieux, une intensité. Ça requiert du vécu, de l’expérience comme vocaliste également. C’est demandant. »

Bossu de son état, une posture toute sauf idéale pour un soliste, le personnage-titre est investi d’émotions négatives et difficiles à porter. « Dans la vraie vie, quand tu es fâché, tu es tendu… mais tu ne peux pas l’être quand tu chantes!  Comme acteur, je dois apprendre à exprimer la colère à travers mon visage tout en gardant le reste de mon corps détendu. » L’illusion, excessivement difficile à maîtriser, doit d’ailleurs survivre aux trois heures du concert. Une performance athlétique qui demande pratique, expérience et endurance.

La partition musicale, archi connue il va sans dire, comporte également son lot de défis. « Verdi a vraiment écrit des trucs qui sont plaisants à chanter! Dans Rigoletto, il te fait commencer autour du do central puis il te réchauffe pour t’amener à chanter de belles lignes. Je veux dire, Puccini a fait ça lui aussi… Mais Verdi sait comment mettre à profit ton registre. Il comprend la voix humaine. Pour un baryton, pour moi, tout ce qui est plus haut que le do central peut être difficile à chanter. Il me donne seulement cette note lorsqu’il veut que je la déclame ou que je sois vraiment vulnérable. »

Le bossu de Mantoue

Rigoletto a réellement existé. L’antihéros du spectacle homonyme s’appelait en fait Triboulet, un comique au physique ingrat qui a diverti Louis XII et François 1er avant qu’une blague mal digérée par son dernier patron ne le mène à la mort. Se moquer de la maîtresse du souverain n’était finalement pas une super idée!

Le fou du roi a inspiré moult créateurs, à commencer par Rabelais (Le Tiers Livre) puis Georges Meliès (François 1er et Triboulet) et Victor Hugo. C’est justement la pièce de ce dernier (Le roi s’amuse), des répliques étrennées à La Comédie-Française en 1832, qui ont servi de matière première pour Francesco Maria Piave lorsqu’il a rédigé le livret. « Quand tu y penses, Verdi s’est inspiré des années 1600 dans les années 1800. Puis t’as moi, au 21e siècle [qui reprend cette histoire-là]. Avec nos yeux, nos voix, nos idées. »

Le thème demeure actuel à bien des égards, surtout lorsqu’il est question de sexualité féminine. Trop souvent encore, le désir des femmes est objet de honte ou même, pire encore, de déshonneur. Rigoletto, c’est l’histoire d’un père qui protège sa fille à outrance, l’isolant du monde extérieur en la plaçant dans un couvent. « Et puis, qui sera son premier chum? Le bad guy, bien sûr! Le duc, le gars qui couche avec tout ce qui bouge, qui ne traite pas les femmes avec un minimum de respect. C’est toute l’ironie et la tragédie de la chose! Je commence la pièce en me moquant de Monterone parce que le duc a souillé sa fille. Je fais la même chose avec Ceprano parce que le duc veut coucher avec son épouse. Mais est-ce vraiment différent de ce que les gens méchants font aujourd’hui? Non… C’est la nature humaine. Je crois que toutes ces histoires sont encore pertinentes. Je ne crois pas que nous avons changé tant que ça au fil des siècles. »

Les 21, 24, 26 et 28 octobre au Grand Théâtre de Québec
(Une production de l’Opéra de Québec)