Scène

Last night I dreamt that somebody loved me : Narcisse et Morrissey

Narcisse revient encore et toujours s’étendre aux rives de l’étang de sa vie pour contempler son reflet et réfléchir aux échecs passés. Voilà le point de départ de la plus récente création d’Angela Konrad à l’Usine C. Mettant en vedette Éric Bernier, Last Night I Dreamt That Somebody Loved Me est une proposition philosophico-théâtrale sur le narcissisme, le pathétique et le populaire. Jalonné de morceaux musicaux de The Smiths – dont celle donnant son titre à la pièce – et de Shirley Bassey, le solo d’Éric Bernier est accompagné de quatre danseurs qui vont et viennent sur la scène, au rythme des désirs et des envies de ce Narcisse contemporain.

Celle qui nous avait servi de puissantes relectures de Shakespeare (Macbeth, 2014) et de Tchekov (Variations pour une déchéance annoncée, 2013) signe ici texte et mise en scène de cette entreprise ambitieuse qui tombe un peu à plat.

Dès l’ouverture de la pièce, on reconnaît rapidement l’intelligence scénographique de Konrad, elle qui perfectionne projet après projet l’occupation de l’espace avec souci et pertinence. L’éclairage de Cédric Delorme-Bouchard crée rapidement deux rectangles de surbrillance: l’un au sol rappelant un podium de défilé, l’autre au mur comme un écran sur lequel on projettera les paroles des chansons qui ponctueront le spectacle. Bernier arrive sur scène, tout de noir vêtu avec le col échancré qui rappelle assez efficacement le Morrissey des Smiths. Commencera alors un soliloque sur le bonheur et la satisfaction, sur le je et l’autre. L’acteur réfléchira à voix haute sur ces possibilités d’accomplissement avec l’autre qu’on voudra tantôt identique à soi, tantôt diamétralement opposé, mais toujours l’entreprise narcissique viendra miner d’avance le champ des possibles.

Certes, ces réflexions sont hautement actuelles dans une société tant du paraître que du spectacle, mais rapidement la représentation donne l’impression d’avoir fait le tour de la question. Si on espérait que Konrad élève la juvénilité des questionnements vers un dialogue aussi théâtral que philosophique, on demeure avec l’idée d’un projet pas mené à terme. Bien que les chorégraphies de Marylin Daoust soient peut-être les moments les plus intéressants de la proposition, jamais ils ne parviennent à ajouter une superbe à une réflexion qui génère trop peu d’échos. Bernier livre une partition très physique, tant dans le mouvement que lorsqu’il doit porter le grotesque du pathétique qu’évoque le texte de Konrad. Conviant plusieurs penseurs à dialoguer avec le populaire à même la mise en scène, Konrad finit par pêcher par redondance, certaines phrases revenant dans le texte comme des métronomes finissent pourtant par perdre de leur pertinence, laissant le spectateur en plan, malheureusement.

Last Night I Dreamt That Somebody Loved Me
À l’Usine C jusqu’au 21 octobre 2017
Texte et mise en scène : Angela Konrad
Avec : Éric Bernier et Marilyn Daoust, Nicolas Labelle, Nicolas Patry, Emmanuel Proulx
Chorégraphie : Marilyn Daoust