Scène

Hôtel-Dieu : Mieux vaut en rire

Alexandre Fecteau aborde la mort de plein front. Un thème qui rend à peu près tout le monde mal à l’aise mais qui, finalement, fait intrinsèquement partie de la vie.

Il est le père du NoShow, ce spectacle interactif portant sur la précarité financière de ses potes comédiens, ce blockbuster théâtral qui continue de tourner dans les vieux pays après presque une centaine de représentations. Quel dramaturge local est capable de pareil exploit, à part, bien sûr, Robert Lepage?

Alexandre Fecteau a le vent en poupe, ça ne date pas d’hier. C’est lui qui a audacieusement dépoussiéré Les fées ont soif à la Bordée, lui qui a coordonné la dernière mouture du parcours déambulatoire Où tu vas quand tu dors en marchant…? au Carrefour international de théâtre de Québec. Dans la ville d’Ex Machina, il est possiblement le plus digne héritier du maître. De retour en 2011, il nous entraînait vers sa Changing Room, une pièce aussi sensible que grivoise, un texte hyperréaliste bonifié d’un décor immersif recréant Le Drague entre les murs du Périscope. C’est dans l’ablation du quatrième mur, c’est indéniable, mais également dans la mise en lumière des personnes marginalisées ou éprouvées qu’il excelle. Des portraits profondément humains livrés par des acteurs qui partagent son goût pour l’autodérision. «Ça me représente bien. En allant chez le psy, j’ai jamais pleuré, mais j’ai beaucoup, beaucoup ri.»

Alexandre Fecteau (Crédit: Jasmin Robitaille)
Alexandre Fecteau (Crédit: Jasmin Robitaille)

«Ça me représente bien. En allant chez le psy, j’ai jamais pleuré, mais j’ai beaucoup, beaucoup ri.»

Cette nouvelle création, titrée en l’honneur des hôpitaux homonymes, tend à recréer l’ambiance des salons funéraires, ces instants où on pouffe de rire avec les cousins, les amis, en étant étouffé par le décorum morbide. Hôtel-Dieu se divise en trois parties: le deuil, la souffrance, le rituel. «Le but, c’est pas de faire du bien ou de guérir. C’est d’aller à la rencontre de ce dont on ne parle pas.»

Douleurs en chroniques

Plutôt que de faire appel à des comédiens virtuoses, à sa muse Frédérique Bradet et à tous les autres, l’auteur a recruté ceux qu’il appelle ses experts. Des individus comme Michèle Tousignant, une amie du cégep, jadis sa camarade dans une troupe de théâtre amateur, une jeune maman avec une histoire toute particulière. «Au fond, moi, c’est ma fille qui est décédée. C’était mon deuxième enfant, je l’ai perdue en fin de grossesse. C’est pour ça qu’Alex m’a approchée. […] J’ai toujours été confortable avec ça, je pense que c’est important d’en parler davantage. Ce n’est comme pas une peine qui est tellement reconnue, légitimée.»

Le deuil périnatal, donc, mais également le suicide d’une sœur, la sclérose en plaques d’une danseuse, le récit d’un type qui a coupé les ponts avec ses parents Témoins de Jéhovah… L’inclassable production explore toutes ces afflictions et un tas d’autres à travers huit intervenants triés sur le volet. Des témoignages présentés dans un écrin scénographique des plus sobres, question de laisser toute la place à la parole de ces femmes et de ces hommes assez généreux, assez braves, pour partager leurs parcours cruellement atypiques.

«Un théâtre vaccin»

Nous sommes ici a toujours donné dans le documentaire sauf que, cette fois-ci, le d.a. pousse le concept à son paroxysme: chaque membre de la distribution incarne son propre rôle, toutes les anecdotes racontées sont véridiques. Une démarche, disons, plus radicale, même si cette dernière offrande en date, la première en près de quatre ans d’ailleurs, porte toujours l’empreinte de la compagnie. Les caméras de coulisses façon Gob Squad reviendront, le metteur en scène nous le garantit, idem pour cette notion d’interactivité qui lui est si chère. C’est au cours du troisième segment, celui portant sur les rituels, qu’Alexandre a choisi d’intégrer le public. «Chacun d’entre eux nous a amenés dans leur affaire pendant un après-midi, une répét’ au complet. Nous, on a vécu ça sur plusieurs semaines et ç’a été fantastique. Je me suis dit: “Ouais, c’est ça qu’il faut faire vivre au public.”»

Hôtel-Dieu n’est pas une pièce thérapeutique et, de toute façon, son chef d’orchestre n’aurait jamais la prétention du mot. C’est plutôt une proposition artistique qui répond à des carences, à l’une des plus grandes lacunes du genre humain. «On prend quand même beaucoup de temps dans le spectacle pour nommer à quel point les gens sont pas bons avec ces sujets-là. Je trouve qu’on est incompétents non seulement pour en parler, mais aussi pour réagir.»

Avec un peu de chance, le spectacle fera réfléchir aux lieux communs mièvres, aux «niaiseries» (c’est le mot qu’utilise Fecteau) qui peuvent être dites pour consoler les endeuillés. Parfois, souvent en fait, vaut mieux se contenter d’écouter. Et fermer sa gueule.

Du 16 janvier au 3 février 2018
mardis et mercredis à 19 h / jeudis et vendredis à 20 h / samedis à 15 h

Au Théâtre Les Gros Becs
(1143, rue Saint-Jean)

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