«C’est un heureux hasard!», assure Claude Poissant, le directeur artistique du théâtre du quartier Hochelaga. «Les deux projets étaient sur la table depuis un moment. Et quel beau hasard de les programmer tous les deux dans ce mois des morts qu’est novembre…» À ma droite, L’Iliade, une adaptation du long poème d’Homère par Marc Beaupré, qui montera sur les planches de la grande salle du théâtre. À ma gauche, Antioche, un texte de la jeune Sarah Berthiaume mis en scène par Martin Faucher, qui ressuscitera le personnage d’Antigone dans la salle Fred-Barry.
«Il y a un spectacle de gars, avec une parole très mâle, versus un spectacle de filles, indique Claude Poissant. Ce sont deux mondes qui vont être complètement différents, à cause des paroles mais aussi à cause des espaces, mais les deux spectacles se répondent.» C’est en effet une volonté de plus en plus marquée chez le directeur artistique: faire en sorte que les deux salles du théâtre se parlent, dans l’approche, dans le texte, etc., et créer des liens entre toutes les étapes de création.
Des créations très actuelles, car si L’Iliade et Antioche s’ancrent dans l’Antiquité, les deux spectacles vont chercher des écritures très contemporaines dans la mythologie. «Je veux qu’on puisse continuer à travailler le répertoire, mais en restant toujours dans la création», souligne Claude Poissant. «Il y a tellement de routes vers la compréhension de la race humaine dans ces histoires… Que des écrivains aujourd’hui s’y intéressent encore, ça me fascine.»
11 chants et 10 personnages
Le premier contact qu’il a eu avec L’Iliade façon Marc Beaupré, c’est lors d’un laboratoire où les textes d’Homère étaient rythmés et scandés. «Faut pas passer à côté de ça…», s’était dit le directeur artistique. De son côté, Marc Beaupré avait Homère en tête depuis de nombreuses années. Il a commencé par en travailler une adaptation – ce qui lui a pris plusieurs centaines d’heures. Il a coupé du texte, surtout pour clarifier cette histoire très dense. Les dieux, par exemple, sont complètement sortis de sa version.
«Mon Iliade devient une promenade parmi différents chants; j’en reprends seulement 11 sur 26. Le défi de ce texte, c’est que ça parle beaucoup de guerre, ça peut vite devenir monotone. Il faut donc trouver une façon différente d’aborder chaque combat.» L’Iliade, il l’a mise dans la bouche de 10 interprètes qui deviennent des personnages. «Il y a une volonté d’avoir un geste scénique à l’opposé du texte. La gang sur scène fait le contraire de ce que disent les mots: se tuer. Au lieu de s’entretuer, les personnages s’aident à raconter des histoires… Aujourd’hui, L’Iliade serait une télésérie», rigole le metteur en scène. Il résume sa pièce en une phrase: «Le verbe pour glaive.»
«On n’a pas choisi les interprètes selon leurs compétences vocales ou musicales, mais selon avec qui on avait envie de travailler», précise Marc Beaupré. C’est qu’avec des musiciens live sur scène aux côtés des comédiens, la musique est omniprésente et prend une place capitale dans la pièce, comme dans un opéra ou une comédie musicale. Tout le spectacle est amplifié au niveau sonore au moyen de nombreux micros installés sur scène.
Bref, cette Iliade à la sauce Beaupré, c’est un fond classique et une forme très moderne. «Certains pourraient dire à certains moments: “On est dans un show de rap!” La scénographie peut faire penser qu’on est dans un studio de son… Il n’y a aucune représentation matérielle de l’Antiquité», décrit le metteur en scène. Alors que le public du Théâtre Denise-Pelletier est à majorité étudiante, Marc Beaupré se dit fier de pouvoir secouer un peu la conception que la plupart des étudiants ont du théâtre classique. «On va leur balancer un show rock! Ça radicalise un classique…»
Antigone au secondaire
Avec Antioche, la dernière production de la compagnie Théâtre Bluff, en résidence au Théâtre Denise-Pelletier, c’est aussi un public adolescent qui est visé. La pièce est une réflexion contemporaine sur la guerre et l’amour, mais aussi la radicalisation. Face à ces questions, le texte aborde la quête de sens, la soif d’absolu, la colère par rapport à la société… «C’est intime, délicat, intérieur», commente Claude Poissant. «La seule consigne que j’avais de Théâtre Bluff, c’était d’écrire un texte de filles, c’est-à-dire avec prédominance de personnages féminins», raconte Sarah Berthiaume, l’auteure.
Antigone, c’est justement un de ses personnages théâtraux favoris, un personnage qui s’est imposé très vite dans Antioche en tant que figure d’adolescente révoltée: «C’est une fille très jeune, une des premières héroïnes de la littérature. Antigone est une radicale. Elle n’accepte pas les demi-mesures et elle embrasse sa colère.» L’auteure s’amuse alors à jouer les codes tragiques dans un univers hyper contemporain, en transposant la vraie Antigone de Sophocle dans notre monde d’aujourd’hui – elle l’envoie même au secondaire. «Au théâtre, on n’est pas obligé d’être réaliste ni de s’expliquer.»
Elle glisse dans son texte deux extraits d’autres Antigone, l’un de la pièce de Sophocle et l’autre provenant de celle d’Anouilh. «Je veux que ça éveille une curiosité, qu’on ait envie de lire [ou relire] le texte…» La mythologie n’est pas un thème nouveau pour l’auteure, qui signe ici sa deuxième pièce pour adolescents – dans la première, elle abordait cette fois le mythe de Pandore. Pour elle, utiliser la mythologie et se rallier à ces histoires obligent à plonger dans l’essentiel, à éviter les pièges racoleurs dans l’écriture et surtout à se poser de grandes questions.
«Ce sont des questionnements qui ont traversé les siècles, qui fascinent tout le monde. J’aime voir ce qui de nos jours résonne de ces pièces-là. Et encore aujourd’hui, ça n’a pas pris une ride. Notre espèce n’a pas évolué, en fait!» affirme en riant Sarah Berthiaume. «Mais il y a quelque chose de rassurant de se dire qu’on se pose toujours les bonnes questions, puisque ce sont les mêmes qu’il y a 2500 ans…»
L’Iliade, du 8 novembre au 6 décembre
Antioche, du 7 au 25 novembre
Théâtre Denise-Pelletier