Auteure de Babysitter, un succès de la saison dernière à La Licorne dans lequel elle tissait une explosive toile dramatique autour du sexisme ordinaire, et de Princesses, une pièce à trois voix sur la compétition entre filles, Catherine Léger est une formidable créatrice de personnages féminins pas comme les autres. On la dit «auteure féministe». Mais elle avoue que l’étiquette l’intimide. Elle se sent loin du féminisme plutôt théorique qui a la cote ces jours-ci, celui qui se ramifie en de multiples courants de pensée et qui fait l’objet de longues thèses dans les départements de gender studies.
«Je ne maîtrise pas parfaitement les notions de féminisme contemporain, avoue-t-elle, et mes personnages sont parfois carrément antiféministes. Je les chéris tout de même. Je pense que pour être féministe, il faut aimer toutes les femmes, même celles qui n’aident pas la cause. Je mets en scène des personnages qui ont le potentiel de choquer toute bonne féministe, peut-être parce que j’ai un tempérament rebelle qui refuse les catégorisations, mais probablement surtout parce que je cherche à faire exister le féminin sans retenue, dans sa complexité et ses paradoxes.»
Une féministe punk, disions-nous.
«Ouais, opine-t-elle, je pense que ce qualificatif me va bien.»
Dans Filles en liberté, les filles sont jeunes, début vingtaine, et elles sont belles. En pleine possession de leurs moyens. Elles n’hésitent pas à utiliser leurs charmes pour accélérer leur accession à un meilleur statut social. Elles sortent avec des gars plus vieux, des profs de cégep en plein questionnement sur leur engagement politique et sur leur rapport à l’art. Elles sont brillantes mais plutôt individualistes. Des femmes fortes mais qui s’abandonnent parfois aux facilités de leur jeunesse et de leur confort. Sans pour autant y trouver bonheur ou équilibre.
«Je pense que c’est très trash d’avoir 20 ans pour une jeune femme libre sexuellement, dit Catherine Léger. Elles sont dans un moment de bascule, et ce qui leur arrive dans cette pièce va probablement les transformer en jeunes adultes féministes. Mais à ce stade, il n’en est rien. Elles sont intelligentes, belles et applaudies pour ce qu’elles sont. Elles n’ont pas encore vu qu’elles n’ont pas les mêmes chances que leurs collègues masculins. Pour elles, les choses vont se corser plus tard.»
Porno équitable du terroir
Même si elle rêve d’être femme au foyer, Méli se lance dans un grand projet pornographique. Son idée? Faire de la porno sans briser les vies des actrices, en cherchant à montrer le sexe consentant de la manière la plus vraie possible. Noble projet, que pourtant son entourage observe avec beaucoup de circonspection. «Notre société est arrivée à une certaine banalisation de la porno, analyse Catherine Léger. On accepte que tout le monde en consomme régulièrement, hommes ou femmes, jeunes ou vieux. Mais il y a encore beaucoup d’hypocrisie à ce sujet; on n’est pas arrivés à l’étape d’en parler vraiment, on n’accepte pas de créer une vraie discussion publique à ce sujet. Je tente de mettre cette hypocrisie en lumière. Je ne pense pas que le projet de Méli soit vraiment possible, je ne pense pas qu’une porno équitable puisse vraiment exister, mais je pense qu’il faut se poser ces questions.»
C’est aussi une manière comme une autre de s’engager socialement. L’autre grande question que pose cette pièce est celle du rapport au collectif, aux institutions démocratiques, à la nation québécoise et à ses grands rêves avortés. Chaque personnage tente laborieusement de se faire un chemin vers une vie plus politisée. Souvent en vain. «Je voulais explorer l’impact de l’absence de projet social sur ces deux générations-là, dit Catherine Léger. Il y a une certaine incapacité à se mettre en action, à poser les gestes qui correspondent à nos valeurs politiques.»
Certes une auteure soucieuse de représenter le social, Catherine Léger est aussi une dialoguiste méticuleuse, qui aime quand les choses sonnent vrai. Et une rare auteure dramatique québécoise osant le ton de la comédie noire. Sa pièce offre une matière de choix au metteur en scène Patrice Dubois (Théâtre PÀP), qui, paraît-il, s’en donne à cœur joie.
Du 7 novembre au 2 décembre
À La Licorne