La place des femmes dans ces univers joués et rejoués se résume souvent à la femme de, la fille de, la maîtresse de, la bonne de. Cette fois-ci, les femmes jouent les hommes, les hommes jouent les femmes. Boum! Pas de #JouerEntreHommes.
La pièce n’a pas encore été présentée qu’elle soulève déjà plusieurs questions, dont celle-ci: doit-on parler d’un théâtre féministe? «La proposition est féministe», indique la metteure en scène, Édith Patenaude. «Je voulais voir des femmes puissantes, pas nécessairement dans des rôles de pouvoir, mais avec de la puissance.»
Quant au terme «féministe», la metteure en scène souligne que la compagnie l’a probablement toujours été, sans le dire directement, parce qu’il y a 10 ans, le terme était plus tabou et péjoratif qu’aujourd’hui, mais ces valeurs ont toujours été là. «Les Écornifleuses, on a souvent féminisé les rôles. Ici, c’est radical, mais c’est essentiel d’être radical parfois pour trouver un point d’équilibre», estime Édith Patenaude.
Jouer avec les codes
En renversant le genre des rôles, Les Écornifleuses pointent l’éléphant dans la pièce. Dans leur livre La coalition de la robe, les trois auteures, Marie-Claude Garneau, Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent, racontent leur passage dans une école de théâtre, où un professeur soulevait le défi de trouver des pièces pour cette cuvée majoritairement féminine.
Elles écrivent: «Aujourd’hui, il nous apparaît évident que le “problème” n’était pas le nombre de comédiennes dans la classe, mais bien cette double résistance à chercher des pièces où les femmes sont mieux représentées, des pièces qui souvent ont été invisibilisées dans l’Histoire, et à inventer de nouvelles façons de distribuer les rôles des pièces classiques afin qu’elles soient plus inclusives.»
À l’instar des auteures du livre qui réfléchissent sur le théâtre féministe, Édith Patenaude se questionne sur le genre que l’on donne aux rôles. Pourquoi tel personnage devrait-il nécessairement être joué par un homme? Si on dissèque l’essence du personnage, soit ses motivations, ses questionnements, ses valeurs, un genre s’impose-t-il vraiment? Doit-on nécessairement donner un sexe aux personnages?
«On joue aussi avec d’autres codes, mentionne la metteure en scène. On a fait fi de l’âge des rôles et des origines culturelles.» Une jeune joue le rôle d’un sexagénaire, un Noir joue le rôle d’une Blanche, etc. Aussi, bien que les rôles masculins soient joués par des femmes, leurs interprètes utiliseront le pronom «il». Selon Édith Patenaude, l’enjeu porte sur «la question fondamentale de l’être humain, peu importe le genre, l’âge, l’origine, le handicap – quelle est la graine profonde?»
Puissance rythmique
Souvent, aussi, la musique en théâtre est le fruit d’artistes masculins. Ici, la musique de Titus sera une création de Mykalle Bielinski, une femme. Une autre inversion des rôles. «L’aspect féministe vient me confronter, admet la musicienne. Je travaille souvent la douceur, là, c’est l’opposé, c’est un beau terrain de jeu.»
Pour ce spectacle, Édith Patenaude voulait un instrument puissant, comme la batterie. Finalement, Mykalle et elle optent pour des tambours et des percussions que les actrices et les acteurs manipuleront sur la scène. Un échange dans les deux directions, puisque la musicienne devient aussi interprète dans Titus, elle qui a étudié en théâtre, mais dont la musique a pris le dessus dans son parcours. Vous l’avez peut-être d’ailleurs vue et entendue au Mois Multi 2016 avec Gloria.
Mykalle Bielinski parle d’une pièce sombre et lumineuse, un jeu avec des oppositions. «Les tambours, relève la compositrice, c’est très impérial, brutal. Les lier comme ça au féminin, c’est intéressant, ça détourne les clichés», en plus de rythmer les scènes. C’est aussi une façon d’aller chercher l’énergie féminine.
Édith Patenaude confie avoir été chercher Mykalle Bielinski pour sa vision globale, pour son sens profond du spectacle. Justement, pour la performeuse, «la musique est un autre personnage de la pièce» et elle ne voit pas comment elle pourrait séparer le théâtre et la musique.
Une bonne histoire quand même
La metteure en scène insiste, à un moment: «On parle beaucoup de la forme, mais le texte demeure pertinent, il a aussi de quoi à dire!» Elle compare même l’action de Titus, reconnue comme étant la pièce la plus sanglante de Shakespeare, à un film de Rambo. Néanmoins, il «faut passer par-dessus la violence et le sang» et voir le relief créé par l’auteur.
Les cycles de vengeance sont infinis… jusqu’à ce qu’une personne abdique, qu’une personne décide de casser le mouvement, de remettre en question ce qui est tenu pour acquis. «Il y a, dans ce texte, une tradition qu’aucun personnage ne remet en question», soulève Édith Patenaude.
La femme de théâtre y trouve aussi des échos contemporains. «À l’époque où la pièce a été écrite, le stoïcisme était fort et ça explique pourquoi, parfois, les personnages ne semblent pas vivre d’émotions en exécutant des gens, avance-t-elle. Aujourd’hui, poursuit-elle, on vit une forme de stoïcisme social. Devant le nombre effarant de tragédies et de catastrophes circulant dans les nouvelles et sur les réseaux sociaux, on en devient insensible.»
Du Périscope au LANTISS
En raison du prolongement des travaux au Périscope, la pièce se déplace vers le LANTISS de l’Université Laval, dans le pavillon Casault. «C’est une salle similaire», explique la metteure en scène, contente de la tournure des événements. Ce pavillon universitaire est reconnu pour être labyrinthique, mais le Périscope se prépare à rendre l’expérience aussi ouateuse que possible. Édith Patenaude rappelle également que le théâtre est une expérience. Sortir du centre-ville, essayer une nouvelle salle, fait donc partie, aussi, de cette expérience.
Titus
(Une présentation du Théâtre Périscope)
Du 17 novembre au 2 décembre 2017
Au LANTISS (Québec)
Du 13 au 24 février 2018
Au Théâtre Prospero (Montréal)